CONSTANCE OWONA « LA NOTION DE PARITÉ DOIT ÊTRE PLUS QU’UN CHIFFRE. LA PARITÉ CONSISTE ÉGALEMENT À DONNER À CHAQUE ÊTRE HUMAIN LES MOYENS DE SE RÉALISER »

TRAVAILLEUSE : C’est le mot qui pourrait le mieux décrire Constance OWONA. Sans jamais revendiquer sa condition de Femme, elle en est fière et la voit comme un avantage. Epouse, Mère, grand-mère et cheffe d’entreprise, cette infatigable conquérante a à cœur de transmettre son expérience riche de plus de 25 ans à la tête d’une des entreprises locales les plus importantes en chiffres d’affaires, aux femmes plus jeunes. À travers le Groupement des Femmes d’Affaires du Cameroun (GFAC), elle souhaite léguer aux jeunes générations le goût de l’effort, et du travail bien fait. Très peu présente dans les médias, c’est avec beaucoup de bienveillance et de conviction que Constance OWONA, s’est livrée à nous. Découvrez ses pensées.

L’histoire de SARMETAL
Je ne crois pas au hasard ; je crois au destin. À l’origine, SARMETAL
est une entreprise qui a été créée en 1979 et que j’ai rachetée en 1996. J’avoue qu’au moment où on me proposait ce rachat, j’ai eu peur, parce que le secteur de la métallurgie est un secteur dominé par les hommes. À l’époque, j’avais dit à l’ancien propriétaire que je ne savais pas ce que je pourrai faire d’une telle société et surtout que je ne m’y connaissais pas dans le domaine. À force d’insister, le propriétaire a su me convaincre et j’ai dû apprendre. J’ai appris à acheter du fer notamment et d’autres matériaux, non sans difficultés. Parfois j’avais à mes côtés des personnes peu honnêtes. Mais avec le temps et la persévérance, j’ai su m’adapter. Et finalement j’en suis fière. Comme quoi, il y a un petit plaisir à réussir une affaire, et ce plaisir est encore plus grand quand on franchit des obstacles.

Le positionnement de SARMETAL
Nous nous positionnons sur le marché très diversifié de la fabrication d’objets métalliques. Nous avons par exemple participé à la construction
d’ouvrages comme des stations Tradex. Ces ouvrages semblent être en béton, mais en réalité sont en fer modulé et peint. Nous avons construit le monument de Buéa qui symbolise la réunification du Cameroun francophone et du Cameroun anglophone. Nous fabriquons aussi des cuves qui servent à l’industrie pétrolière. Pour faire simple, nous transformons le fer. Nous avons pu – avec le concours de quelques jeunes de la diaspora camerounaise – installer une machine de digitalisation qui modélise les pièces que nous fabriquons ensuite dans nos ateliers. Nous sommes donc en pleine transition. À un moment donné nous avons également servi le marché Equato-Guinéen, car celui-ci a beaucoup de besoins. Mais comme beaucoup d’entrepreneurs camerounais avant nous, nous avons dû faire face à un certain manque de sérieux, et nous avons dû mettre pause.

Le coté digital de la métallurgie
Je suis la première à être impressionnée par ce qu’il est possible de réaliser avec une imprimante 3D. Grâce à l’imprimante on conçoit des pièces, qui sont ensuite fabriquées dans les ateliers. La conception et la réalisation vont alors ensemble localement au sein de l’entreprise. Cette association a pu être effective grâce au concours des membres de la diaspora, à qui nous avons donné la possibilité de réaliser leur rêve qui était d’accompagner les talents locaux. Six Camerounais basés en Allemagne se relaient pour des séjours longs au Cameroun pendant lesquels ils forment les jeunes générations d’informaticiens inscrits à l’Institut Africain d’Informatique (IAI) à l’utilisation des imprimantes 3D. L’objectif recherché est que d’ici quelques années nous n’ayons plus besoin d’importer certaines pièces parce qu’elles pourront être conçues et fabriquées localement.

Sur ma condition de femme
J’ai grandi dans un environnement d’hommes. Je ne me suis jamais sentie lésée parce que je suis une femme, que ce soit au sein de ma famille, avec mes amis ou pendant mon parcours scolaire ou universitaire. Je pense que la compétence n’a pas de sexe. En revanche embrasser un nouveau métier peut être complexe, surtout si on n’a pas les compétences techniques. Dans mon cas, je ne suis pas ingénieur, et à l’époque je devais me fier aux techniciens qui pouvaient m’induire en erreur en me faisant commander des quantités supérieures à celles qui sont nécessaires. Mais ce sont des difficultés qui étaient plus liées à la nouveauté du métier qu’au fait d’être une femme.

Sur les femmes dans l’industrie métallurgique
Je ne dirai pas aux femmes de devenir chaudronnier, soudeur, ingénieur ou autre. J’ai un partenariat avec l’école polytechnique de Yaoundé qui envoie souvent des étudiants en stage pratique. J’ai vu passer des générations d’ingénieurs qui avaient en leur sein des femmes. Quand celles-ci sont hautement qualifiées, elles ne restent pas ici. L’une des femmes que j’ai recrutées comme chaudronnier, Geneviève, a très vite gravi les échelons. Elle est passée des ateliers à un poste de cadre, ce qui était assez facile pour elle parce qu’elle avait les qualifications. De même, au niveau du département qui s’occupe de la conception informatique de nos pièces, nous avons aussi des jeunes femmes. De manière générale, il n’y a pas de domaine réservé aux femmes. Ce serait d’ailleurs difficile dans le contexte de notre pays car les camerounaises n’ont pas de complexe. Cependant, il ne faut pas le faire parce qu’on imite les hommes ; il faut le faire par amour du métier choisi. Beaucoup trop de femmes pensent que certains métiers sont réservés aux hommes. A celles-là je dis qu’il faut ouvrir les yeux, et regarder autour de soit pour savoir transformer les obstacles en
opportunités. On ignore certaines choses qui sont près de nous parce qu’on regarde sans voir. Pourtant il faut se jeter à l’eau, et une fois qu’on y est, nager ou apprendre à le faire.

Sur l’importance de la religion face à l’adversité
Il est possible que le fait de parler de religion dans le milieu professionnel
puisse choquer, mais je pense qu’il est important que je fasse ce témoignage. Lors de ma première année au sein de SARMETAL, j’ai eu besoin de prier et de sortir du carcan rationnel, pour aller chercher la force de faire face à certains obstacles ailleurs. Et étant nouvelle à Yaoundé même si j’y avais vécu avant d’aller à Douala – il était nécessaire que je trouve de nouveaux repères. J’étais revenue grâce à SARMETAL, et j’ai retrouvé une ville différente ; une ville plus professionnelle, plus dynamique, et où la politique a son importance aussi. C’était très difficile. Tous les soirs en partant du bureau pour rentrer chez moi, je m’arrêtais au monastère du Mont Fébé pour prier avec les moines. Cela m’a permis de m’ouvrir à autre chose, de savoir que la vie n’est pas ce que l’on croit, mais surtout que l’on peut avoir des objectifs beaucoup plus nobles que de gagner de l’argent. Il faut en tenir compte parce que nous ne sommes pas dans une société purement rationnelle. Dans le monde du travail ici, il faut mettre un peu de compassion et de spiritualité. Sans diriger qui que ce soit vers une religion donnée, j’encourage chacun à s’inspirer de la religion en considérant le contexte dans lequel nous évoluons.

Entreprenariat féminin par nécessité ou par vocation
Il n’y a pas de hasard dans la vie, je vous l’ai déjà dit. Devenir entrepreneur
résulte souvent d’une conjonction d’évènements. Quand nous finissions l’université, il n’y avait pas de problèmes car avec un diplôme on trouvait un emploi. Aujourd’hui avec le problème de l’adéquation entre les études réalisées et les besoins des entreprises se pose aussi celui de l’occupation des jeunes. Nous voulons justement former au GFAC les enfants à pouvoir s’auto-employer. La fibre entrepreneuriale on peut l’avoir de manière innée, ou on peut la forcer, mais pour être un bon entrepreneur, il faut aimer travailler et faire des efforts chaque jour. On travaille plus quand on travaille pour soit que quand on est salarié, parce que la majorité des bénéfices perçues sont pour soi-même. Dans le monde capitaliste dans lequel nous vivons, les gens sont motivés quand ils travaillent d’abord pour eux-mêmes. Mais quoi qu’on dise, dans le monde où nous vivons, même s’il n’y a pas d’emplois pour tout le monde, il y a du travail pour tout le monde.
Mais que l’on soit entrepreneur par vocation ou par nécessité, il faut être méthodique, accepter de commencer petit et grandir.

Sur les objectifs du GFAC
Nous voulons laisser un héritage pour les jeunes filles qui viennent après nous. Nous avons un immeuble qui a été financé par le contribuable avec
l’accord du chef de l’état, qui a toujours soutenu le GFAC. D’ailleurs, tous
les voyages que nous faisions à l’étranger au début du GFAC pour se faire connaitre et apprendre des autres étaient subventionnés par le trésor public ; preuve que l’état soutient les femmes entrepreneures depuis
longtemps. L’immeuble dont je vous parle est un centre d’incubation pour
les femmes entrepreneures jeunes. Elles viennent avec leurs projets, on leur apprend à faire un Business plan, et à intégrer leurs initiatives dans un plan comptable. En bref, nous voulons qu’elles soient formées. Des formations
ont déjà commencé car il y a eu deux promotions qui sont d’ailleurs venues ici chez SARMETAL pour s’imprégner de la vie en entreprise. Toujours dans la même optique nous voulons que la vie nous permette de transmettre notre propre expérience. Celle-ci est faite d’erreurs, de chutes, de remise en question et de relèvements. Parce que la vie c’est ça. On tombe et on se relève. Il ne faut pas que les jeunes soient surpris de tomber. Sur votre parcours vous verrez qu’il y en a qui vont tomber et qui ne vont pas se relever. Il faut qu’ils sachent qu’avant eux des gens ont connu des expériences, sont tombés, se sont relevés, et que même s’ils ont l’air debout le chemin a souvent été semé d’obstacles. Pour franchir ceux-ci, il y a un seul secret, et je suppose que vous connaissez la chanson : la vraie magie c’est le travail.

Sur les hommes en tant qu’obstacles
Il est vrai que certains hommes sont des obstacles. A l’époque quand on venait de commencer les activités du GFAC, les femmes mariées avaient besoin d’une autorisation signée par leurs époux pour voyager. Pour nos activités, nous devions sortir du pays une, voire deux fois par an pour participer à des conférences à l’extérieur du pays. À ce moment-là, j’avais demandé à mon mari de pré-signer des autorisations parce qu’il pouvait arriver que j’ai besoin de me déplacer et qu’il ne soit pas là. Petite anecdote, je devais voyager avec d’autres femmes pour une conférence, et un commissaire, qui connaissait très bien mon époux d’ailleurs, m’a interpellé en me précisant que celui-ci n’avait pas pu signer l’autorisation que je présentais parce qu’il était sorti du pays et qu’il avait assisté à son départ. Ce qui était vrai. À ce moment-là, mon époux était hors du Cameroun depuis 3 jours. J’ai dû avouer à ce commissaire que j’avais une pile d’autorisations pré-signées chez moi qu’il me suffisait de remplir pour pouvoir voyager. Ce monsieur trouvait insensé l’acte de mon mari. J’ai dû lui expliquer que le mariage n’est pas une prison. À cette époque, beaucoup de femmes ont quitté leurs conjoints parce que ceux-ci ne leur laissaient pas la possibilité de s’épanouir dans leurs activités professionnelles.

L’impact de la carrière professionnelle sur le couple
Certains hommes veulent se voiler la face en pensant que le fait d’avoir des enfants, ou de vouloir bâtir une carrière ne ralentit pas la femme dans l’atteinte de ses objectifs professionnels. Et ils ne sont pas prêts à accepter les conséquences induites par le fait d’avoir une épouse éduquée. Prenons le cas des femmes diplômées de l’Ecole Nationale d’Administration et de Magistrature ici au Cameroun. À mon époque on ne concevait pas vraiment d’avoir des sous-préfets de sexe féminin. Aujourd’hui elles sont de plus en plus présentes et sont tout aussi compétentes que les hommes si ce n’est plus ; elles sont même de plus en plus favorisées. Plusieurs mariages entre administrateurs des jeunes générations se sont terminés à cause de l’ascension professionnelle des femmes, ascension qui peut parfois se traduire par un déménagement qui n’arrange pas toujours l’homme. Je vous parle de l’ENAM, mais c’est aussi le cas des diplomates. Il est vrai qu’à l’époque, il existait une loi non écrite qui favorisait les couples de fonctionnaires, et la femme était affectée dans la ville où l’homme décidait de résider, et donc de travailler. Aujourd’hui il n’est plus aussi simple de demander une affectation avec pour seul motif le suivi de conjoint. Plusieurs femmes sont affectées loin de leurs époux, et ces derniers ne sont pas toujours prêts à les suivre. L’incompatibilité entre les carrières professionnelles est devenue un motif de rupture. Il est nécessaire qu’au
moment où les jeunes prennent la décision de se marier, ils échangent sur leurs aspirations professionnelles.

Sur la notion de parité
J’entends beaucoup parler de parité. Cependant il ne faudrait pas que cette notion reste juste un chiffre, à savoir 50 femmes, 50 hommes. La parité consiste également à donner à chaque être humain les moyens de se réaliser. Nous avons été créées pour réaliser quelque chose sur cette terre
avant d’en repartir. Par conséquent, chaque être humain doit pouvoir se sentir bien là où il est. Les théoriciens de la parité pensent que la femme par sa nature a des blocages. En tant que femme on est d’abord « la fille de papa » qui, très souvent, va payer la scolarité à son fils et non à sa fille parce que celle-ci va aller en mariage. Ensuite on devient la femme de quelqu’un qui pense que son épouse doit rester à la maison parce qu’il pourvoie financièrement. Quelques années plus tard, on devient la mère de quelqu’un et on doit éduquer des individus. Le temps passe, et la femme n’a plus le temps de se réaliser elle-même. Je crois que c’est à ce niveau qu’on doit former les femmes, et leur dire, en leur donnant des exemples, qu’on peut – bien sûr en travaillant un peu plus que les hommes – réussir sa vie professionnelle, sa vie familiale, son statut de mère, d’épouse et de membre de famille. Chez nous en Afrique la famille repose beaucoup sur les femmes. Une prise de conscience est nécessaire d’abord par les parents pour que ceux-ci donnent les mêmes chances à tous les enfants, indépendamment de leur sexe.

Sur les employeurs face à la parité
Quant aux employeurs, dans mon cas, j’ai envie de vous dire que j’attends
les candidatures, et je crois que j’ai mis en place une structure de formation prête à accueillir tout le monde. Mais quand on parle de formation en soudure ou en chaudronnerie, ce sont des hommes qui se présentent, parce que les parents sont réticents. Il y a quelques femmes, mais ce n’est pas encore ce qu’on attend, pourtant ce sont des métiers porteurs. À compétence égale, quand il s’agit de faire une sélection, je choisis d’employer des femmes parce que leur impact est visible. Je vous prends l’exemple de Geneviève dont je vous parlais récemment, avec qui je travaille depuis 18 ans, et qui a eu 3 enfants entre temps, et qui après ses accouchements est toujours revenue. Elle avait un réel impact dans les ateliers quand elle y était présente. Quand il y a une femme dans les ateliers avec les hommes, ces-derniers changent de comportement parce que c’est une présence qui les interpelle. Ils se boostent, ils sont propres, ils ont une meilleure tenue. J’aimerai avoir plus de femmes au sein de mon entreprise
parce que leur présence apporte quelque chose de différent.

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