YANN GWET “DANS L’ENSEMBLE NOUS DEVONS TOUS, ENTREPRENEURS COMME NON ENTREPRENEURS, ÊTRE PLUS HUMBLES ET PLUS ACHARNES AU TRAVAIL”

Même s’il est difficile de définir l’entrepreneur-type d’origine Camerounaise sans le caricaturer, il demeure tout de même une certitude : L’entrepreneuriat est à la mode. Yann Gwet, journaliste-écrivain camerounais, nous livre en quelques lignes son opinion sur cette activité qui se veut être l’une des plus attractives du moment.

Le portrait-robot de l’entrepreneur camerounais… 

Selon des chiffres publiés par le GICAM[1] il y a quelques années, 44,2% des entrepreneurs camerounais sont diplômés du primaire, et 14% sont sans diplôme. Par ailleurs 81% des entreprises auraient moins de 10 ans. S’il y a un portrait-robot (avec ce que cela a de nécessairement caricatural) de l’entrepreneur camerounais, alors celui-ci est peu diplômé, est à la tête d’une activité très fragile, et exerce probablement dans l’informel.

Parlons des obstacles auxquels font face les entrepreneurs camerounais

Les obstacles structurels sont connus : la corruption est omniprésente ; les infrastructures (réseau routier, télécommunications, etc.) sont de mauvaise qualité (ce qui engendre toutes sortes de coûts) ; les ressources humaines demeurent un vrai problème ; la fiscalité est punitive, notamment pour les jeunes entreprises qui ne sont pas tournées vers l’export (ce sont les plus nombreuses) ; l’insécurité juridique est totale (le coût de la malhonnêteté est très faible), les possibilités de financement sont réduites, etc.

Pour le reste, tout dépend du profil de l’entrepreneur : l’entrepreneur-type, dont je parle plus haut, sera (sauf exception) freiné par une insuffisance de qualifications. Il existe de nombreux entrepreneurs-politiques au Cameroun : ceux-là se servent de leur statut – d’hommes politiques – pour s’octroyer toutes sortes de privilèges et faciliter leurs affaires (certains les brandissent comme des modèles alors qu’il s’agit de contre-modèles). Enfin il existe une classe d’entrepreneurs jeunes et éduqués qui à mon sens souffre d’une faible émulation, d’un marché intérieur petit et dans lequel le pouvoir d’achat est faible, d’une insuffisance d’intégration régionale, mais aussi d’un environnement francophone qui n’est pas propice au développement d’entreprises.

…Et du nombre sans cesse croissant d’initiatives

Je n’ai pas de chiffres pour évaluer la progression « d’initiatives » entrepreneuriales. Mais il est vrai que l’entrepreneuriat est à la mode. Il y a eu la mode de l’informatique dans les années 90, ensuite celle de la Finance jusqu’au début de la crise financière en 2007, et désormais celle de l’entrepreneuriat. Le statut « d’entrepreneur » est prestigieux. Le thème porte médiatiquement. Une sorte de bulle semble s’être formée d’ailleurs. Les média en parlent sans cesse, on distribue toutes sortes de prix à toutes sortes « d’entrepreneurs », qui pour certains ont réalisé bien peu ; en retour cela suscite toujours plus de vocations, et donc de nouveaux « jeunes entrepreneurs » arrivent sur la scène dans l’espoir d’être médiatisés et récompensés en conséquence. C’est un peu dans ce cycle absurde que nous sommes. L’entrepreneur 2.0 veut avant tout être connu et primé. Son principal atout est la communication. L’entrepreneuriat est pour lui une fin en soi. Il est entrepreneur pour être entrepreneur. J’observe que lorsque Bill Gates inventait Windows, il était occupé à travailler (pas à faire sa promotion ou à recevoir des récompenses) ; lorsque Steve Jobs concevait ce qui est devenu le Mac, il était tout autant absorbé par son travail. La communication (ou la promotion) devrait servir le fond. Les entrepreneurs devraient communiquer lorsqu’ils ont quelque chose à présenter ou à annoncer. Autrement, leur fonction première est de travailler à améliorer l’état de la société. Il n’y a aucun mal à œuvrer dans l’obscurité si l’on construit « Apple ».

De ce point de vue, la multiplication des initiatives, si elle est avérée, n’est pas nécessairement une bonne nouvelle. Nous avons besoin d’entrepreneurs talentueux et sérieux capables de résoudre de vrais problèmes (éducation, santé, agriculture, etc.) et créer les millions d’emplois dont notre économie a besoin. La qualité me semble ici plus importante que le nombre. Or pour l’instant, je vois le nombre, pas nécessairement la qualité. Lorsque la bulle éclatera (comme celle d’internet et de la Finance), les choses seront peut-être plus claires.

A propos des entrepreneurs Camerounais… Indomptables ?

De manière générale, les entreprises camerounaises ont une durée de vie faible et restent petites (elles emploient peu de monde et trop souvent elles sont incapables d’assurer le salaire de leurs employés tous les mois). Ici ou là, il y a des individus qui ont manifestement du potentiel (ce qui fait plaisir). Il faut souhaiter qu’ils aillent au bout de leur potentiel, car c’est tout le pays qui en profitera. Mais dans l’ensemble nous devons tous, entrepreneurs comme non-entrepreneurs, être plus humbles et plus acharnés au travail. Ceci dit, quand on compare le Cameroun à de nombreux pays africains, je crois qu’on peut se risquer à affirmer que nous avons une culture entrepreneuriale. Et cela est indéniablement un atout pour la suite.

Sur le soutien apporté aux entrepreneurs Camerounais

Est-ce nécessairement notre rôle, en tant que camerounais, de « soutenir » des entrepreneurs sur la seule base de leur nationalité ? Ce n’est pas évident. En tant que client, il n’y a aucun doute : à qualité et prix comparables, j’opterai pour un produit camerounais. Autrement, non ; je suis avant tout un consommateur préoccupé de son intérêt propre. C’est aussi à « nos » entrepreneurs de nous encourager à les « soutenir ».

5 ingrédients qui mèneraient à la renaissance Camerounaise à travers l’entrepreneuriat

Pas sûr que 5 ingrédients soient nécessaires. Nous avons avant tout besoin d’un gouvernement sérieux, qui combatte la corruption, qui rénove nos infrastructures, qui réforme en profondeur la fonction publique (plus rapide, plus réactive, etc.) et le système judiciaire, qui améliore significativement le système éducatif et la fiscalité des entreprises, etc. Seule une renaissance politique conduira à la renaissance que vous appelez de vos vœux.

 

Propos recueillis par Chrys Nyetam

[1] Groupement Inter Patronal du Cameroun

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