En Afrique, on compte environ 15 médecins pour 100 000 habitants[1]. Recherchant des conditions de travail meilleures, les médecins africains s’en vont vers les pays développés. Le continent est alors très souvent obligé de se tourner vers les ONG ou de payer au prix fort des médecins étrangers. Très peu de médecins du secteur public en Afrique gagnent plus de 100 dollars alors que les salaires dépassent les 10 000 dollars dans certains pays. La santé coûte chère et la couverture sociale en Afrique est la plus basse de tous les continents[2]. Un américain dépense en moyenne plus de 6 000 dollars par an pour se soigner, un Français 3 000 dollars tandis qu’un Nigérien n’a que 30 dollars à consacrer à sa santé.
Les Etats perdent de l’argent dans la formation de médecins qui ne travailleront pas pour eux, faillissent à trouver un système de protection sociale adéquat faute de moyens, obligeant des citoyens aux salaires déjà très bas à mettre une croix sur leur droit à la santé. Si les citoyens ne vont pas à l’hôpital, comment paie-t-on les médecins et l’entretien des machines coûteuses qu’ils utilisent ? Ce cercle vicieux entraîne la mort de milliers de personnes chaque année. On se renvoie la faute à chaque fait divers. On s’en émeut le temps d’un buzz sur les réseaux sociaux et on continue nos vies. Certains, pourtant, ont choisi de changer les choses. En Afrique, on a ici et là des idées pour améliorer l’accès aux soins. On se prendrait à rêver à un hôpital où toutes ces idées seraient réunies.
Imaginons qu’on puisse réduire le taux de mortalité lié au paludisme grâce à un simple savon. C’est le projet de Faso Soap qui propose un savon pour la toilette qui éloigne les anophèles femelles et tue leurs larves. Le test “pf/PAN” (pLDH), premier kit de diagnostic médical rapide entièrement africain, serait utilisé pour détecter les souches de paludisme présentes dans du sang prélevé simplement à l’aide d’une lancette, indiquant en moins de 30 minutes l’efficacité ou non du traitement.
Imaginons que chaque femme enceinte puisse être suivie tout au long de sa grossesse grâce à une simple hotline Gifted Mom. Elle pourrait même être conduite à l’hôpital en cas d’urgence par un « Ride for Lives », un vélo avec une remorque sanitaire [3]ou par les ambulances aériennes de Flying Doctors Nigeria. Les patients cardiaques pourraient être examinés à distance grâce au CardioPad, une tablette à écran tactile qui permet de faire des examens de type électrocardiogramme à distance. Les résultats sont alors transférés par une connexion sans fil à un spécialiste qui les analyse. Grâce à MPedigree, on repérerait vite les faux médicaments et on ne se ferait plus avoir par les médicaments de la rue. Les aveugles abandonneraient la canne blanche au profit de Mubser, système basé sur les ultrasons qui détecte les obstacles. Avec SourceLab, on aurait accès aux rayons X à moindre coût. Imaginons que l’Etat investisse dans la recherche sur les nombreuses plantes médicinales ancestrales que nous possédons. Imaginons que l’on puisse produire nos propres médicaments à bas coût.
Imaginons, rêvons. L’idée de réunir toutes ces idées et bien d’autres produites par les brillants cerveaux africains reste utopique mais elle ne nous amène pas moins à nous inspirer. Tous ces ingénieurs n’ont fait que chercher des solutions à des problèmes de leur quotidien. Bien que toutes ces inventions soient africaines et résolument tournées vers la réduction des coûts, il subsiste un prix pour la santé. La couverture sociale resterait le problème majeur de cet hôpital public. L’Afrique du Sud a choisi de largement s’ouvrir sur le secteur privé pour l’assurance. Certains pays comme le Togo ont réussi à assurer tous les fonctionnaires. Il reste cependant toujours une fraction énorme de la population qui travaille de manière informelle. Des revenus non-déclarés entraînent une impossibilité d’accès à certains services. Des innovations comme la tablette Somtou sont destinées à aider les acteurs de l’informel à quantifier et gérer leurs revenus. Il reste alors aux actuaires la responsabilité de créer des modèles d’assurance adaptés.
Pour que chacun puisse avoir accès à la santé demain, il nous faudrait des Etats enclins à redistribuer les richesses de manière équitable. Pour que les faits divers atroces dans nos hôpitaux ne deviennent pas une banalité, plus que le serment d’Hippocrate, rappelons-nous de cette solidarité africaine dont on se vante tant. Imaginons qu’on a encore un peu d’humain en nous.
Superbement pensé et tout ça fait réalisable.