Comment distinguer des traits d’audace parmi les réalisations humaines lorsque les modes de fonctionnement habituels passent la plupart du temps par des systèmes de pensée, des réflexions, des innovations, des objectifs, des processus de production … afin d’aboutir à la réalisation des projets ?
La plupart d’entre nous fonctionne ainsi, de manière plus ou moins élaborée, et quel que soit nos domaines d’activités. Cependant, nous ne sommes manifestement pas tous des audacieux. Où réside donc la différence ? Être audacieux est un état d’esprit, une seconde nature. L’audace est en réalité un trait de caractère. Nous ne pouvons donc pas tous en être dotés. En toute liberté, outrepassant toutes les convenances et les habitudes, l’audacieux se lance dans son aventure et affronte tous les obstacles rencontrés, sans s’imposer des limites qui entraveraient le processus de sa pensée. Quitte à choquer, à paraître absurde ou même, passer pour fou, l’audacieux avance vers son objectif sans rechercher immédiatement une reconnaissance quelconque mais simplement l’audience nécessaire à faire entendre, ou mieux, faire comprendre son propos.
Il ne s’agit pas de manquer de respect à quiconque, mais d’avoir le courage de ses créations, de ses innovations, d’aller au bout de sa pensée et d’avoir la témérité de révéler les résultats de ses réflexions, même si cela passe par l’insolence et l’impertinence qu’apportent souvent un trait de génie. « Le tact dans l’audace c’est de savoir jusqu’où on peut aller plus loin ». Pour ne citer que ces trois exemples concernant la hauteur des édifices, Il a fallu prendre des risques considérables pour se lancer dans la construction de la Tour Eifel, de la Shanghai WFC ou de la Burj Khalifa.
Le parti architectural totalement atypique adopté par Zaha Hadid, adepte du courant déconstructivisme, interroge et provoque même des incompréhensions. « Première femme a avoir reçu le prix Pritzker, le “Nobel” de l’architecture, elle est surnommée la “Reine des courbes” ». Son audace a permis d’avoir une autre perception de l’aménagement de l’espace, nous ramenant presque systématiquement à l’environnement dans son essence organique, évoquant la fluidité des cheminements, l’accord majeur avec les méandres d’un cours d’eau, des volumes approchant des canopées les plus hautes. Ses promenades dans la haute technologie, restent néanmoins coordonnées avec la souplesse de la nature et du paysage … Zaha Hadid a été un des grands architectes contemporains qui a su illustrer, à très grande échelle, l’audace qui réside dans la créativité, le courage de produire et d’assumer une architecture inattendue, l’audace en architecture.
Il fallait avoir le courage de défier ainsi la nature, les éléments, les lois de la physique et de la matière, pour être de plus en plus performant, pour initier de nouvelles techniques, de nouvelles mises en œuvre, pour aller de plus en plus haut et proposer des formes de plus en plus complexes. Evidemment, le haut niveau de technicité, la complexité des structures ainsi que les performances des matériaux, laissent penser que ces constructions avant-gardistes en leur temps, ne sont dues qu’au développement des nouvelles technologies mise au service de l’architecture.
Qu’en est-il alors des architectures antiques, des architectures traditionnelles, des architectures dites
vernaculaires ? Sans machines ni outillages particuliers, mais par la force de l’intelligence, de l’ingéniosité, de la volonté humaine, on a vu s’inscrire des réalisations extraordinaires émanant des œuvres de l’esprit : Ces monuments mégalithiques, datant sans doute de la Préhistoire, faits d’empilements de menhirs à l’apparence tellement instable mais dont l’équilibre et la solidité ont pourtant traversé les âges ; Ces imposantes pyramides d’Egypte (plus de 2500 ans avant notre ère), construites de blocs de pierres, charriés grâce à l’ingéniosité et par la force de l’homme à des hauteurs incroyables et pour réaliser des édifices respectant parfaitement les proportions prévues à la conception calculée et Ces monolithes mystiques de l’Ile de Pâques, du XIIème siècle, sculptés dans des pierres de plusieurs tonnes, mais dont les visages de ces protecteurs géants et silencieux sont pourtant si bien proportionnés malgré leurs hauteurs impressionnantes allant jusqu’à 12 mètres.
Ces architectures troglodytiques qui ont donné lieux à des cités magnifiquement sculptées directement dans les flans et à l’intérieur de falaises de roche rouge en plein désert. Celle de Pétra date du 6ème siècle avant notre ère … Avec sa façade majestueuse, sa grande porte mystérieuse qui mène vers ce qui a été une cité prospère et riche, dont les vestiges sont remarquablement conservés. La Cité de Pétra est classée comme étant la 8ème ; Ces monastères suspendus et accrochés à flancs de montagnes vertigineuses, tel que celui de Xuankong. Il est construit à plus de 50m de haut. Les accès de ces bâtisses semblent parfois inexistants ou simplement constitués de petits sentiers cahoteux et serpentant jusqu’à ces sommets de pierres déchiquetées dans leur éruption vers le ciel.
Ces monastères suspendus et accrochés à flancs de montagnes vertigineuses, tel que celui de Xuankong. Il est construit à plus de 50m de haut. Les accès de ces bâtisses semblent parfois inexistants ou simplement constitués de petits sentiers cahoteux et serpentant jusqu’à ces sommets de pierres déchiquetées dans leur éruption vers le ciel
Ces cases Bamiléké dont les charpentes de leurs toitures volumineuses, hautes de plus de 12 mètres, sont intégralement réalisées au sol, puis hissées à bras d’hommes pour être déposés sur des murs hauts de plus de 9 mètres. Tous les matériaux associés aux mises en œuvre sont la preuve d’une ambition tout aussi audacieuse que celle qu’il fallait avoir pour superposer des menhirs les uns au-dessus des autres sans être aidés par une quelconque machine.
Ces Igloos dont la température et l’isolation acoustiques résultent d’une parfaite étude de la ventilation, du renouvellement de l’air et de la protection contre le vent glacial. Tout cela donne lieu à un habitacle complètement confortable et inattendu compte-tenu de la nature du matériau de construction, seulement fait de blocs de neige, savamment assemblés en dômes.
Ces cases Mousgoum dont les monticules apparaissant sur les façades passent pour décoratifs alors qu’en réalité, il s’agit d’un échafaudage intégré à la construction, nécessaire à la réalisation de cet ouvrage qui s’élèvent lui aussi à plus de 12 mètres pour les plus hauts d’entre eux. Ces techniques de construction, la forme en obus et les matériaux utilisés sont toujours en usage. Les qualités thermiques, le mode de ventilation et l’acoustique intérieure sont parfaitement adaptées aux conditions climatiques locales.
Ces magnifiques mosquées du Mali, telles que celle de Djenné (1907), sur lesquelles les saillies en bois des façades sont elles aussi des échafaudages permettant de réaliser l’élévation de la bâtisse vers la spiritualité à laquelle est destiné l’ouvrage. Du fait de la double peau ainsi constituée, ces extrusions en bois, passant pour épineuses et laissées apparentes, participent également à la protection et au rafraîchissement des murs, dans ce territoire aride, du fait de leurs ombres portées conjuguées sur ces murs en terre. Le bois lui-même, rare dans ces contrées, fait de Djenné une construction précieuse à tous points de vue.
Toutes ces merveilles architecturales qui n’ont eu d’autres support que la pensée de quelques hommes qui ont eu l’audace d’en faire des créations intellectuelles, scientifiques, techniques ou artistiques … missions premières mais espérées de l’architecte …
À travers les ères et sous toutes les latitudes de notre monde, ces architectures extraordinaires sont apparues grâce à ces esprits audacieux qui ont osé procéder autrement.
Des questions fusent alors, dont les deux principales :
POURQUOI ?
COMMENT ?
(à suivre…)
Caroline BARLA