Le marché de l’habillement et du footwear en Afrique représente environ 31 milliards de dollars pour 1 milliard de clients potentiels. C’est à cette industrie en plein boom qu’Inspire Afrika Magazine a choisi de consacrer son seizième numéro. En marge de la sortie de cette édition, le magazine a organisé un Inspir’talk le 10 novembre dernier présenté par Diane-Audrey Ngako avec pour intervenantes Maureen Ayité, créatrice de Nana Wax et Nelly Wandji, PDG de Moonlook, sous le thème: Mode africaine. Et si le chic faisait du chiffre?
Qu’est-ce que la mode africaine?
La mode africaine est souvent réduite à l’utilisation d’imprimés africains. Pour Maureen Ayité qui utilise autant les tissus européens que les tissus africains, “la mode africaine est une entité globale”. Les intervenantes, comme le public, ont eu du mal à donner une définition précise à la mode africaine. Comment cloisonner la mode de 54 pays aux inspirations différentes sous une même définition? “La mode africaine, c’est une expression de la créativité africaine” a joliment conclu Nelly Wandji.
Qui est le consommateur de la mode africaine?
Dans son magasin au Bénin, la créatrice de Nana Wax réalise le plus gros de ses ventes auprès d’expatriés. Sur les ventes privées à l’étranger (elle en a déjà organisé 6 cette année), elle reçoit à chaque fois près de 500 personnes mais majoritairement africaines. Est-ce donc à dire que les africains vivants sur le continent n’achètent pas les produits de leurs créateurs? Est-ce un problème de moyens financiers? “La classe moyenne en Afrique est en constante évolution, le pouvoir d’achat n’est pas un frein au développement de l’industrie de la mode” a souligné Nelly Wandji pour qui le problème serait la mise en valeur de l’industrie.
Selon Bloomberg, les 5 plus grands marchés pour l’industrie de la mode en Afrique aujourd’hui sont le Nigéria, l’Afrique du Sud, l’Angola, le Kenya et l’Ethiopie, 5 pays anglophones. Quelle différence y-a-t-il entre les créatifs anglophones et francophones en Afrique? “Les anglophones sont fiers de leurs créateurs” selon Maureen Ayité. Le problème de l’Afrique Francophone serait la difficulté à faire accéder des personnalités au rang de “stars”. En Afrique anglophone, il y a énormément de vedettes qui portent les créations de leurs compatriotes et mettent leur notoriété et leur style au service des marques. En Afrique francophone, il y a très peu de personnalités reconnues et acceptées pour leur style capables de jouer le même rôle. Nelly Wandji, qui distribue plusieurs créateurs anglophones sur Moonlook a souligné que les pays qui se démarquaient avaient réussi une certaine professionnalisation de leur industrie. Les meilleures écoles de mode en Afrique actuellement sont la Lisof School of Fashion à Johannesburg, l’Ethiopian Fashion Institute et la Vogue Style School au Ghana.
Parlons des circuits de distribution…
“Quel que soit le business, il faut savoir à qui on vend quoi, comment et surtout si on gagne de l’argent. Le nombre de parutions dans la presse ou de défilés ne font pas une marque” a déclaré la directrice de Moonlook. Selon l’expérience de Maureen Ayité, la vente directe est la meilleure solution pour les créateurs qui débutent. Lorsqu’on a évoqué les nouveaux centres commerciaux qui ouvrent un peu partout sur le continent, la créatrice béninoise s’est plainte des prix exorbitants de ces espaces commerciaux. “Il faut compter entre 30.000 et 45.000 euros pour avoir un magasin à Cap Sud en Côte d’Ivoire” a-t-elle ajouté. Seules les grosses enseignes peuvent aujourd’hui se permettre d’avoir des boutiques dans ces centres commerciaux. Les centres commerciaux africains sont néanmoins encore un luxe pour la majorité de la population, ce n’est peut-être pas le meilleur moyen de “démocratiser” la mode africaine.
Invités à s’exprimer sur l’éventualité de la présence de marques africaines dans leurs magasins, Bernard Kouao et Simon Louvel des Galeries Lafayette, présents dans la salle, ont appelé les créateurs africains à créer le buzz. “Lorsqu’on crée l’envie, les distributeurs se bousculent pour chercher les créateurs” a conclu Bernard Kouao.
Challenges de l’industrie de la mode africaine
La créativité, aussi importante soit-elle, n’est que le début de la définition d’une marque. Pour être plus que des artistes et faire du chiffre, les créateurs africains doivent s’informer sur le processus de développement d’une marque. Il faut faire de la communication, du marketing et enfin de la distribution. Pour cela, il faudrait renforcer les programmes des écoles de mode qui existent déjà et en créer de nouvelles pour professionnaliser les créateurs. Les gouvernements doivent s’impliquer autant dans la formation que dans la réglementation des taxes appliquées aux importations de textiles pour créer une industrie pérenne. “Pour que l’industrie se développe, il faut que des investisseurs se mouillent.” a clamé Nelly Wandji. Comme toute industrie, la mode a besoin de financement. Il faut que des gens y croient et décident d’y investir. C’est le rôle des créateurs de réaliser le travail le plus chic mais il faudrait que les médias africains les mettent en avant, que les stars africaines les portent et que les consommateurs africains achètent la mode africaine.
Alors, comment faire du chiffre avec du chic? Pour Maureen Ayité, “pour faire du chiffre avec du chic, il faut faire rêver les gens“. Pour Nelly Wandji, “Certes, il faut se faire désirer mais il faut surtout maîtriser ses coûts. De beaux produits à des prix convenables.“
Le talk s’est terminé en soirée networking dans le magnifique showroom Elss Collection où les invités ont pu apprendre à attacher les foulards de soie de la Maison Udjuwa, déguster du champagne Nicolas Feuillatte et des jus de fruits Moriba en discutant de mode et de chiffres. Pour plus de photos, cliquez ICI.