« LA PETITE MAMAN » DE BERTHE NTOCKO NKOWA

Bethy Ntocko
Berthe Ntocko photo par Peter Bile
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D’après une étude de 2017 de l’Institut de statistique de l’UNESCO (ISU), à l’échelle mondiale, six enfants et adolescents sur dix n’acquièrent pas les compétences minimales en lecture et en mathématiques. Ce sont 387 millions d’enfants en âge de fréquenter le primaire et 230 millions d’adolescents en âge de fréquenter le premier cycle du secondaire. L’Afrique subsaharienne est la plus touchée avec près de neuf enfants sur dix âgés de 6 à 14 ans qui n’acquièrent pas les seuils minimaux de compétence en lecture et en mathématiques. Les enfants ne lisent pas, n’apprennent pas à lire, n’apprennent pas à aimer la lecture. Et si les études pointent du doigt les difficultés liées à la qualité de l’éducation et au milieu de vie, le contenu des
lectures y est sûrement aussi pour beaucoup. Le contenu pour enfant adapté manque énormément. Pour s’attacher à un livre, il faut que l’histoire leur ressemble. C’est avec cette jolie mission que Berthe, éducatrice a décidé d’écrire un livre pour enfants.

Berthe, que les enfants surnomment Bethy, est diplômée en gestion des  petites et moyennes organisations à l’IUT de Douala. Formée Montessori  (0-3 ans) et Sunrise programme, elle est la fondatrice du centre Langa  Lé Ndé. Lorsqu’on lui demande pourquoi le choix de travailler avec les  enfants, elle a du mal à l’expliquer, c’est une vocation. « Je me sens plus  à l’aise en compagnie des enfants que des adultes, peut-être cela est-il  dû à mon âme d’enfant qui a je pense 6 ans ? » répond Bethy en rigolant.  Son grand sourire illumine son visage et on l’imagine nous raconter un  conte. C’est d’ailleurs comme ça que lui est venu l’idée d’écrire un livre.  « Ça s’est fait au fur et à mesure. J’ai pris l’habitude de m’enregistrer  lorsque je raconte les histoires aux enfants. Dans mon vision board de  2022, il y avait comme objectif : écrire un livre pour enfant et me faire  éditer au Cameroun. » explique-t-elle. Une vision qu’elle a pris le temps  de matérialiser et d’écrire tout au long de l’année. L’histoire parle d’elle,  elle est personnelle, elle fait écho à l’histoire de plusieurs autres aînées  qui sont devenues des petites mamans.

Le petit livre jaune à la main,  Bethy nous raconte comme à ses petits élèves Montessori : C’est l’histoire d’une grande sœur qui prend soin de la  maison et de ses cadets en l’absence de ses parents. Elle  range, nettoie, etc. Cette histoire je la racontais souvent  aux enfants afin de leur faire comprendre la nécessité de  nettoyer et de ranger partout où ils se trouvent. Chez nous  c’est la base. Tout enfant, à son arrivée, apprend d’abord à  ranger son espace. L’héroïne dessinée par Cédric Minlo’o est noire. Ce dernier a accepté  d’illustrer en échange d’un partage sur les royalties du livre. Une belle  collaboration entre deux camerounais qui ont la même passion de la  culture. La maison Adinkra a édité le livre effectuant un travail formidable  malgré l’environnement difficile de l’édition au Cameroun. Comme explique l’auteure , »Rédiger un livre c’est facile, l’éditer c’est facile, l’’imprimer,  c’est facile. Le vendre…c’est un match de Titans ». Quelques partenaires ont cependant accepté de suivre l’aventure per mettant au livre de bien se vendre et de trouver son public. Très peu  d’écrivains locaux écrivent pour les enfants.  

Berthe Ntocko
Berthe Ntocko photo par Peter Bile

« C’est la culture. Heureusement, on a une génération qui a  compris l’importance de changer les choses et c’est encourageant aujourd’hui de se dire que mon enfant aura des  livres qui parlent de son environnement, de sa culture et  les personnages qui lui ressemblent. C’est un peu comme  avec les poupées, on ne voyait que les poupées blanches,  les dessins des blancs et c’était en soi la norme. Je me  souviens de la première fois que ma fille a vu une poupée  blanche, elle était tellement surprise que ça m’avait fait rigoler » raconte Bethy. Les choses changent petit à petit. Les petits enfants africains ont la possibilité de se projeter, de coiffer la poupée noire qui a la  même texture de cheveux et même les grandes maisons intègrent un  petit noir dans les équipes de héros de dessins animés.

Grâce à cela, les  enfants apprennent à mieux se connaître. « L’un de nos véritables problèmes aujourd’hui c’est que nos  enfants ne savent pas pour la plupart qui ils sont, d’où ils  viennent parce qu’on ne leur a pas appris. Il faut un véritable  retour aux racines ». Explique l’écrivaine. Les parents ont un grand rôle à jouer dans l’intégration de la lecture  dans les habitudes des enfants. Il faut commencer tôt souvent. Un vilain  adage dit que pour cacher des choses à un noir, il faut l’écrire dans un  livre. Il faut le faire mentir et le faire oublier. La nouvelle génération doit  apprendre à lire pour avoir les mêmes armes que tous les autres enfants  du monde. « Un enfant apprend à lire à partir de 4 ans, faut-il attendre cet  âge pour lui apprendre la culture du livre ? Définitivement  NON. Les enfants sont de superbes photocopies des ha bitudes de leurs entourages, si l’enfant ne vous vois jamais  tenir de livre comment voulez-vous qu’il développe la culture  du livre et aime la lecture ? Lorsque vous parlez à vos en fants, dites-leur j’ai lu ceci dans un livre, ils comprendront  que la lecture est importante car elle nous apprend beau coup de choses ». 

Son choix de carrière, Bethy en parle avec passion. Ça n’a pas été facile  de convaincre ses parents de la légitimité de son choix. Il en faut des  gens qui ont l’audace d’aller à contre-courant pour se lancer dans des  carrières essentielles mais peu courues. Choisir son épanouissement et  donner de son don à ce qui en ont besoin. « Langa Nde Bia » que l’on  peut traduire par « Lire c’est connaître », son centre pour les enfants, a  pour principale activité les ateliers Akama Kids qui ont pour objectif d’accompagner les enfants à développer leur plein potentiel. Pour le prochain  livre, il faudra attendre un bébé, Bethy a un autre projet en gestation,  un polichinelle dans le tiroir. En attendant, elle pense à écrire pour les  parents, pour leur apprendre la parentalité positive. Dans un monde où on ne parle que productivité, succès, avenir, l’audace,  c’est peut-être aussi cela la douceur d’apprendre aux autres la douceur.  Merci la petite maman !

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