AURELIE CHAZAI: « SI VOUS OBSERVEZ ATTENTIVEMENT L’ÉVOLUTION DU MARCHÉ CAMEROUNAIS, VOUS VOUS RENDREZ COMPTE QUE LES NOUVEAUX CABINETS JURIDIQUES QUI S’IMPOSENT SONT PRINCIPALEMENT DIRIGÉS PAR DES FEMMES. »

Aurelie CHAZAI

Avec une mère médecin qu’elle considère comme son modèle ultime, Aurélie Chazai aurait pu devenir médecin. Mais le destin en a décidé autrement. A la place, elle est à la tête d’un des cabinets d’affaires les plus en vue au Cameroun, qui s’est récemment occupé du dernier Euro bond de l’État du Cameroun. Rien que ça. Avant de rentrer au Cameroun, Aurélie CHAZAI a travaillé dans les cabinets juridiques les plus prestigieux dont Cleary Gottlieb Steen & Hamilton LLP, Ashurst LLP, Willkie Farr & Gallagher LLP, Herbert Smith Freehills LLP et Linklaters LLP à Paris, ainsi qu’au sein du département droit boursier et financier de la société de gestion d’actifs AXA Investment Managers.
C’est donc une tête bien faite et bien pleine qui décide de rentrer au Cameroun fin 2017, afin d’y installer son propre cabinet d’affaires, en duo avec son homologue et associée Flora Wamba. La suite est belle, et le cabinet Chazai & Partners est parti pour s’installer dans la durée dans l’écosystème business et juridique camerounais et africain.

Votre carrière en France était excellente. Qu’est ce qui a motivé votre retour au Cameroun ?
Mon associée Flora Wamba et moi avons travaillé dans de nombreux cabinets internationaux au sein desquels il nous est plusieurs fois arrivé d’avoir des clients africains. On s’est rendu compte assez vite que les acteurs économiques privés et institutionnels du continent faisaient massivement appel à des cabinets privés étrangers pour les accompagner dans toutes leurs problématiques juridiques, y compris des problématiques purement locales. Or, pour bien satisfaire ces clients, ces cabinets devaient sous-traiter une partie du travail à des cabinets locaux. Ces cabinets locaux, eux, ne pouvaient pas souvent se positionner comme Lead Counsel (conseil principal, ndlr) sur les plus importantes transactions du continent, parce qu’il leur manquait la proximité avec les décideurs et les normes de service de rang international. Les cabinets internationaux avaient donc le carnet d’adresse, la proximité avec les dirigeants et l’influence, les cabinets locaux avaient l’expertise du terrain. Nous nous sommes dit qu’il fallait mettre à profit notre maitrise des codes des cabinets internationaux pour monter un cabinet panafricain qui offrirait ses services aux acteurs locaux directement depuis le continent. Nous avions aussi une envie de faire bouger les lignes, en toute humilité, dans la pratique locale du droit des affaires.
Voilà ce qui a motivé mon retour au Cameroun sur le plan professionnel.
Quant à l’aspect personnel, deux choses : je voulais renouer avec mon pays et apporter ma pierre à l’édifice de son développement, et je souhaitais aussi que mes enfants connaissent leur pays et y grandissent. Je dis souvent que nous avons décidé de rentrer avec un brin de naïveté parce que nous étions loin de nous imaginer toutes les galères que nous avons vécues. Mais avec le recul, je ne regrette pas du tout.

Quelles sont les premières choses qui vous ont frappé en vous réinstallant au Cameroun (d’un point de vue professionnel, personnel,
sociétal, etc.)?

En fait il n’y a pas eu de grosses surprises. J’ai grandi au Cameroun, et bien que vivant en France, j’y avais toujours de solides attaches, d’autant plus que la majorité de ma famille y vivait, notamment mes parents. En revanche, il faut quand même un temps d’adaptation et de réapprentissage des codes sociaux et des interactions. On vous appelle la mbenguiste (celle qui vient de Mbeng, c’est-à-dire de l’Occident en général, ndlr). Il faut être prêt à faire preuve d’humilité et s’adapter pour que tout se passe bien. Sur le plan professionnel, j’ai été agréablement surprise par le dynamisme et la qualité des juristes et jeunes étudiants en droit au Cameroun. Le Cameroun regorge de talents qui ne demandent qu’à être reconnus et propulsés. Nous n’avons donc pas eu vraiment de mal à recruter.

Est-ce qu’à un moment donné dans le parcours vous avez douté d’avoir pris la bonne décision ?
Nous avons a connu des débuts difficiles comme tous les entrepreneurs, et parfois un sentiment de lassitude. L’entrepreneuriat au Cameroun, c’est un peu les montagnes russes : aujourd’hui on signe un gros contrat, le lendemain on en perd un autre. Mais dans le fond, nous n’avons jamais baissé les bras et nous n’avons jamais laissé les obstacles nous freiner. Nous étions vraiment dans cette posture d’afro-optimistes, en se disant que le parcours en valait la peine.

Parlez-nous de Chazai &Partners. Quel est le positionnement et la
vision du cabinet et comment se démarque-t-il des autres cabinets ?

Chazai &Partners est un cabinet d’affaires panafricain. Nous ambitionnons de fournir directement sur le continent des services juridiques sur mesure et de rang international à tous les acteurs locaux et étrangers. Nous sommes actifs dans tous les domaines du droit des affaires : fusion et acquisition, oil&gas, immobilier, droits des sociétés, marchés publics, partenariats publics/privés, banque et finance, assurances, contentieux, arbitrage, etc.
Nos avocats proviennent de trois Barreaux différents : celui du Cameroun, celui du Nigéria et celui de la France. Bientôt, nous aurons des avocats du Barreau du Rwanda. Nous nous positionnons particulièrement sur les grandes transactions commerciales et financières qui vont dessiner le futur économique du Cameroun et du continent Africain. Notre ambition est de devenir un des principaux cabinets d’envergure africaine, et nous avons commencé à réaliser cette vision en étendant nos activités au Gabon dans un premier temps. Nous allons par ailleurs procéder prochainement à un rebranding du cabinet, qui deviendra la SCP CHAZAI WAMBA, afin de vraiment matérialiser notre présence dans les deux pays.

Vous avez démarré votre carrière en France et avez donc une fondation juridique française. Combien de temps cela vous a-t-il pris pour maitriser le droit camerounais et OHADA ?
Assez peu de temps en réalité. Pour les raisons historiques que l’on connait, il existe finalement beaucoup de similitudes entre les droits camerounais et français. Cela est encore plus vrai pour le droit OHADA. Lorsqu’on est familier du code du commerce français, il est assez aisé de pratiquer le droit OHADA. Les logiques et bien souvent les dispositions essentielles sont les mêmes. La transition était donc assez douce. Et après le reste des subtilités vient avec la pratique sur le terrain.

Vous lancez l’activité en 2017. Votre cabinet était alors inconnu dans le milieu juridique et des affaires au Cameroun. Comment on signe ses premiers contrats quand on est inconnu au bataillon et qu’on n’a pas encore fait ses preuves dans un pays où le bouche-à-oreille et la recommandation restent de puissants leviers pour attirer des clients ?
En réalité l’importance de la recommandation et du bouche-à-oreille se vérifie dans tous les pays du monde et particulièrement dans le métier d’avocat, où la réputation joue vraiment un rôle prépondérant. On parle d’intuitu personae, c’est-à-dire qu’un client va choisir son avocat avant tout
par rapport à la confiance qu’il lui porte. En nous installant en 2017, nous étions effectivement complètement inconnues. Mais nos carrières nous avait permis de développer un réseau international dans les milieux business. La première chose que nous avons faite c’est que nous avons beaucoup communiqué. Et nous avons bénéficié des recommandations des personnes qui avaient déjà travaillé avec nous auparavant et qui avait gardé de nous une impression assez favorable. C’est comme ça que nous avons eu nos premiers contrats. Par exemple, on va contacter un directeur juridique d’une entreprise à Paris, qui va nous mettre en relation avec le directeur juridique de la filiale en local, qui lui-même va nous recevoir, nous tester sur un petit dossier avant de nous faire confiance pour de plus grands dossiers. Nous allions voir des directeurs juridique et financier pour pitcher le cabinet et le présenter aux entreprises. Ça c’était pour le BtoB.
Pour le grand public, nous avons pris le parti d’avoir une vraie approche marketing, ce qui n’était pas le cas des autres cabinets au Cameroun : avec une identité visuelle forte, une description claire de nos expertises et domaines d’interventions, un site internet vraiment ergonomique. C’est comme ça que nous sommes parvenues à attirer l’attention. Et nous n’avons pas hésité à surfer sur le buzz que cette initiative a suscité, d’autant plus que nous étions des femmes ambitieuses à la tête d’un cabinet ambitieux. Nous avons réussi à attirer l’attention des curieux et à les fidéliser avec la qualité de nos services.

La suite en page 20 de votre magazine

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