Jamais les musiques urbaines camerounaises n’ont autant eu le vent en poupe. Les récentes success stories de Jovi, Stanley Enow, Maahlox Le Vibeur, Locko, Tenor, Magasco et bien avant eux X-Maleya ont en effet grandement contribué à projeter au-delà du triangle national, une musique urbaine qui, si elle était reconnue dans quelques contrées voisines, n’avait jamais eu un véritable écho au-delà de la Méditerranée.
Cette fulgurance est très perceptible sur le plan local avec la prolifération de médias dédiés (websites, webradios, blogs, podcasts radios, etc.), la multiplication de labels indépendants ou encore la diversité de producteurs et réalisateurs de talents, mais pas encore de renom. Le foisonnement de tous ces ingrédients est révélateur d’un univers musical en pleine expansion. Cette apparence ne saurait cependant masquer l’écart qui réside entre l’univers des musiques urbaines camerounaises et ce qui se fait chez les voisins Nigéria et Afrique du Sud, qui ont une longueur d’avance indubitable. Qu’à cela ne tienne, nous avons tenu à faire une immersion au cœur de cet univers en plein devenir pour en déceler les recettes et les secrets.
Le Camfranglais[1] et le pidgin remis au goût du jour
Longtemps considérées comme des langues de voyous, et interdites en milieu scolaire, le Camfranglais et le Pidgin English constituent aujourd’hui l’élément fondamental de résurrection de la culture urbaine camerounaise. Alors que les musiques urbaines camerounaises ont longtemps emprunté à l’Occident son argot, ses codes mais aussi sa musicalité ; les techniques langagières populaires et argotiques typiquement camerounaises inondent les studios et les radios, attisant ainsi la curiosité de ceux qui y sont peu habitués et favorisant de facto, sa promotion au-delà des frontières.
« Notre marque de fabrique est d’utiliser sans distinction toutes les langues parlées au Cameroun. On peut prendre un mot chez les bamilékés à l’Ouest et lui donner du sens dans tout le pays, chez les anglophones ou chez les francophones. On utilise une culture globale, un dictionnaire qui va au-delà de l’anglais, du français ou même du pidgin. (…) on doit être capable d’exprimer des émotions dans n’importe quelle langue. C’est une question d’authenticité, d’originalité et de rejet du tribalisme » – Jovi[2]
Même si ces formes lyriques argotiques et vernaculaires ont longtemps été prônées par des artistes comme Negrissim, Koppo, Boudor, Sissongho Mc’s, Sangoa Mboa ou One Love, la nouvelle génération a réussi à faire gagner – au détriment, on peut le déplorer, du contenu et de la qualité des textes – en notoriété la musique urbaine camerounaise, à une échelle plus continentale, voire internationale.
Au crédit de ce postulat, les expressions familières typiquement camerounaises ou issues de néologismes scandées par Franko (Coller la petite), Maahlox (Ça sort comme ça sort), Stanley (Hein Père), Reniss (Le piment dans la sauce), Jovi (Mets l’argent à terre, Mongshung, Et p8 koi), Mink’s (Le gars-là est laid), Janea Pol’Anrhy (Tu dors ta vie dort), Gasha (Kaki Mbéré), Spido (Kotopi, Tu as kel tête ?), Tenor (Kabangondo) ont réussi à se populariser et à conquérir les foules.
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Renaissance des sonorités musicales traditionnelles
L’incorporation de référents musicaux purement africains pourrait expliquer le vent favorable qui souffle sur la musique urbaine camerounaise. Un coup d’œil furtif à travers l’univers urbain mondial, nous permet de constater une tendance à intégrer des sonorités africaines dans la majorité des musiques qui inondent les ondes. Si aujourd’hui, l’Afro-Pop et l’Afro-Trap tiennent la dragée haute dans les sélections des DJ, ce mélange entre rap et musique afro n’est pas un phénomène nouveau[3]. Héritant des très populaires Trap et Drill d’Atlanta et Chicago, les artistes de la scène urbaine française ont rajouté dans leurs récentes productions des ingrédients musicaux à l’africanité avérée. Et personne n’y échappe, de Niska à Booba, en passant par MHD, Maitre Gims, Fababy, Gradur et plus près de nous Pit Baccardi.
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Même si la musique urbaine du Cameroun tire de la France l’essentiel de ses influences, il ne fait l’ombre d’aucun doute que le buzz de la musique issue du Ghana et du Nigéria a grandement contribué à faire prendre conscience aux artistes camerounais, de la nécessité d’insérer dans leurs productions des sonorités issues de leur propre culture, plutôt que de reprendre les influences jazz, blues etc. Cette chimie musicale mêlant au rap des sonorités traditionnelles de chez nous n’est pas non plus une invention nouvelle en Afrique puisque Negrissim, Krotal ou Boudor au Cameroun l’ont expérimenté avant ; et, dans les contrées voisines, Movaiz Haleine au Gabon ou Daara J au Sénégal s’étaient déjà inscrits dans cette voie.
L’occidentalisation des productions musicales urbaines diminuant peu à peu au profit d’une africanisation grandissante a eu un écho très favorable au Cameroun, qui a su rapidement tirer des leçons de la réussite jusqu’aux USA, des musiques urbaines ghanéennes et nigérianes. Le très efficace et prolifique label New Bell Music est l’exemple parfait dans le contexte Camerounais, de la rupture avec les codes Hiphop issus des USA ou de la France, aussi bien sur le plan de la forme que du fond. L’efficacité commerciale de cette savante association n’est plus à démontrer, Salatiel, Maahlox, Locko, Magasco, Tenor, Dynastie Le Tigre, Mr. Léo, mais surtout, Franko (qui a fraichement été sacré disque d’or en France avec son ovni « Coller la petite ») sont les exemples parfaits qu’il y’a une grosse part de marché à conquérir à l’international. Reste à espérer que la quête effrénée aux tubes, et aux vues sur YouTube ne diluent pas la qualité des œuvres musicales.
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L’impact d’internet et des réseaux sociaux
L’avènement d’internet a sonné le glas du disque. La « crise du disque » a en effet entrainé de profondes mutations dans l’industrie musicale. Internet bousculant les habitudes, les simples consommateurs de CD sont devenus par le biais de leurs ordinateurs et surtout leurs téléphones, de véritables acteurs du marché. Cette prise de pouvoir d’Internet a hissé les internautes en tant que premier baromètre de mise sur le marché de produits musicaux. Finies les séances d’écoute de projets par les spécialistes (Directeurs Artistiques, journalistes spécialisés et autres artistes.), de nos jours, les avis récoltés via les vues sur YouTube et les « like » et commentaires sur Facebook, Twitter ou SoundCloud dictent et orientent les plans marketing des artistes. Les campagnes de promotion et communication sont désormais prioritairement menées à travers les réseaux sociaux et le poste de Community Manager s’est subrepticement inséré dans les équipes d’artistes. Le mot d’ordre est donné, qu’on aime ou pas, il faut être connecté pour toucher efficacement son public, sauf à s’appeler Jay-Z ou Eminem pour s’en passer.
« Nous sommes à l’ère d’Internet (…) Si vous n’êtes pas sur Facebook, Twitter, Instagram, ce sera très difficile de vous faire connaître. Les labels camerounais n’ont pas les moyens de payer des grosses sommes pour de la promotion. Même dans le milieu, les professionnels vont aller regarder votre nombre de vues sur YouTube. » Stanley Enow[4]
La nouvelle génération d’artistes urbains camerounais a su s’approprier les NTIC et les mettre au service de la promotion et la vulgarisation de leur art. Très clairement, Internet dans sa globalité et les réseaux sociaux pris individuellement ont contribué à bâtir des carrières. Si bien que de nos jours, on peut affirmer sans l’ombre d’un doute que les artistes qui n’ont pas su s’arrimer à ces outils ont loupé le coche et se sont fait distancer par ceux qui en maitrisent l’utilisation.
De fait, beaucoup d’artistes, notamment ceux de la première génération, ne se sont pas encore totalement appropriés les NTIC et restent en marge de l’effervescence actuelle. En guise d’illustration, les échecs des projets de Krotal (Cœurs de Lions, Peaux de Panthères) ou encore de Sultan Oshimihn (Manifestation of Fire, Vol 1) démontrent à suffisance comment d’excellents albums peuvent s’avérer être de véritables suicides commerciaux. Si le premier a péché par son absence sur les réseaux sociaux, le second a subi les affres d’une communication pas très bien maîtrisée sur la toile.
Le constat global de l’apport d’Internet dans l’industrie de musique urbaine camerounaise, ne saurait occulter les nombreux maux qui l’empêchent de véritablement décoller. Qu’il s’agisse de la gestion des droits d’auteurs et droits voisins, de l’organisation de spectacles et festivals, ou de leur reconnaissance par les pouvoirs publics, la musique urbaine camerounaise suffoque encore et son actuelle bonne presse ne doit pas faire oublier que le vaste chantier de son édification demeure.
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