Le single aurait pu passer dans l’industrie musicale africaine comme un énième succès afro-pop. Il n’en est rien.
Depuis la publication officielle du vidéogramme au titre plus sarcastique que malintentionné – le 13 septembre dernier – une odeur de soufre plane sur l’œuvre, jusqu’à ébranler le sommet de l’Etat du Cameroun et au delà. Dérive pornographique pour certains, inspiration géniale pour d’autres, la chanson divise ou ‘enjaille’, mais ne laisse personne indifférent.
L’auteur du crime: Franck Junior Kingue alias Franko; 28 ans; né le 26 décembre 1987 à Akwa[1]; 1m70 environ; type bantou; figure bien connue de la scène hip-hop camerounaise depuis le milieu des années 2000[2].
Les faits qui lui sont reprochés: Outrage public à la pudeur, pour le caractère prétendument licencieux de ses lyrics et du vidéogramme.
Au final, le morceau s’impose comme un des titres les plus courus de l’ère digitale en Afrique Centrale, avec désormais près de 8 millions de spectateurs sur youtube en trois (03) mois. Et la série est en cours!
Des rues de Douala aux bancs de l’Assemblée Nationale camerounaise
Le triomphe eut été modeste si l’Etat ne s’y était pas heurté.
Sorti en juillet dernier, le morceau se répand comme une trainée de poudre dans le pays, avant de dynamiter l’écosystème artistique camerounais à la sortie du clip à la rentrée 2015.
Alors que le single devient mondialement viral, un arrêté plutôt cocasse émane du département de la MIFI, dans la Région de l’Ouest du pays. La décision exécutoire du Préfet Tangwa Joseph Fover alias ‘Massayo‘[3] enjoint à plus de 300.000 concitoyens de la circonscription administrative de 402km² [4], de cesser “la vente, la promotion, la diffusion de l’œuvre musicale de l’artiste Franko, auteur de la chanson “Coller la Petite” sur toute l’étendue dudit territoire et à compter de la date de signature – le lundi 2 novembre 2015 – sous peine de sanctions.
S’engage alors une opposition de styles entre le père de famille rigoriste ‘Massayo’, son armada de sous-préfets, de policiers et de gendarmes; et le sémillant Franko et son succès populaire.
Un mois durant, la croisade de M. Le Préfet intrigue, avant de trouver son épilogue dans les travées de l’Assemblée Nationale où elle s’invite aux questions orales des députés aux membres du gouvernement, lors de la séance plénière d’adoption de la Loi des Finances.
Les élus vitupèrent auprès du Ministre délégué auprès du Ministre de l’Intérieur[5] sur l’acte de censure de M. Le Préfet, qui viole la préséance du Ministre de la Culture[6]. ‘MassaYo’ capitule et retire son acte. Les fans exultent.
l’Apothéose
Des rues de Douala aux bancs de l’Assemblée Nationale, le plébiscite est désormais unanime – si ce n’est en termes de goût musical – du moins au nom de la garantie des libertés prônée par la République. Le buzz peut donc continuer de plus belle, auréolé d’un nouveau statut de ‘tube renégat’.
Et ‘Massayo’ a du souci à se faire! Avec l’effervescence des fêtes de fin d’année, pas sûr que l’engouement ralentisse.
Porté par la chaîne musicale MTV Base[7] comme l’un des titres à suivre en 2016; numéro 1 des classements ‘Urban Hit’ sur Trace Urban[8] et ‘Hit Africa’ sur Africa N°1 [9]; de prestigieux ambassadeurs comme Didier Drogba, Alexandre Song et Mokobé se sont emparés du phénomène pour faire des adeptes qui en parodient la chorégraphie à longueur de vidéos.
Plus inattendu encore, une application mobile[10] s’inspirant du titre est née de l’interdiction de la chanson!
‘Coller la petite’ réveillerait-il le génie créatif de certains?
Dans tous les cas, il y a toutes les raisons de se prendre à rêver d’un ‘Gangnam Style’ à l’africaine. En attendant, Franko prépare une tournée internationale.
Affaire à suivre…
Louis Gilbert Bissek