BITILOKHO NDIAYE : « SI ON PERMET AUX FEMMES DE MIEUX UTILISER INTERNET COMME UN OUTIL, CELA AURA UNE INCIDENCE ECONOMIQUE »

Conseillère technique sur les questions du genre au Ministère des Postes et Telecom du Sénégal, Bithilokho Ndiaye œuvre pour accompagner et conduire la politique du genre dans les différents secteurs de la communication, des télécoms et du numérique. En 13 ans d’administration sénégalaise, elle a occupé deux postes majeurs : chef de service adjoint au Ministère des relations avec les institutions (service des relations avec le parlement), puis Directrice de la communication au Ministère de l’Information. Elle est également Présidente de l’association FESTIC (Femmes Sénégalaise dans les TIC) qui a pour but de mettre le numérique au centre du développement socio-économique des femmes. Nous avons justement échangé autour des femmes et du numérique au Sénégal.

Quelles actions concrètes menez-vous pour la démocratisation des TIC auprès des femmes du Sénégal ?

Depuis 2013, je pilote un projet dénommé genre et TIC, qui a pour objectif de réduire la fracture numérique du genre, intégrer le genre dans les programmes du secteur TIC et renforcer la présence des femmes au niveau des postes de responsabilité. Ce projet a reçu un financement de l’État, des partenaires publics, mais aussi du secteur privé. Nous déroulons nos activités autour de la formation des femmes dans le domaine du numérique, l’équipement en termes d’ordinateurs, et la formation en entrepreneuriat numérique. Nous encourageons également les femmes à se mettre en réseau. Depuis qu’on a commencé, on a vu que l’investissement de l’État sur les projets liés à la facture du genre dans le domaine du numérique a augmenté. Nous avons également reçu le prix international Remtech Awards remis par ONU Femmes et l’Union Internationale des Télécommunications à notre ministère, comme disposant de la meilleure stratégie gouvernementale d’intégration du genre dans le secteur des TIC, tenant compte de l’autonomisation des femmes par le numérique.

Les clichés ont la vie dure… Peut-on dire que les femmes sont moins intéressées par les Tech que les hommes ?

Selon l’expérience que j’ai, les femmes sont tout autant intéressées par la Tech que les hommes. Tout est question d’accès à la connaissance. Si elles ont l’enseignement, l’équipement et les compétences adéquates, elles y portent autant d’intérêt. La barrière quand elle existe, est uniquement liée aux ressources et à la connaissance. Nous avons organisé de nombreux concours Tech. Les filles ont été les plus promptes à proposer des solutions numériques adaptées à des problèmes précis qu’elles rencontrent au quotidien. On observe lors des formations que l’on donne, que les petites filles qu’on initie au codage sont très enthousiasmées par cette matière.

Qu’est ce qui explique donc selon vous la faible présence des femmes  africaines dans les Tech ?

La raison principale, est celle que je viens de mentionner : le faible accès à la connaissance technologique. Cela s’explique parce que en termes d’éducation en général, les femmes sont historiquement en retard. Notre société a toujours cantonné la femme a un rôle exclusivement familial, lui empêchant ainsi l’accès aux études. Les garçons étaient envoyés à l’école, les filles restaient à la maison. Celles qui réussissaient à démarrer des études ne restaient pas longtemps à l’école. Une fois enceintes, il fallait tout abandonner pour s’occuper des enfants et des charges de la maison. Tous ces éléments ont participé au retard global qu’on observe aujourd’hui. sMais il faut nuancer en disant que la technologie permet également l’inclusion des personnes illettrées. Regardez WhatsApp par exemple. Qu’on soit instruit ou pas, on est capable d’utiliser l’outil.

En effet, 67% de la population analphabète du Sénégal est féminine. En dehors de l’exemple de WhatsApp, cela reste quand même un obstacle majeur à la présence des femmes dans les Tech non?

Tout à fait. Nous nous sommes rendus compte que les femmes qui ont préalablement eu accès à l’éducation n’ont pas de problèmes particulier à accéder à la technologie. Le problème se pose vraiment au niveau des femmes analphabètes. Notre stratégie pour cela a été de nous servir de la technologie pour alphabétiser les femmes. Nous mettons en place des programmes sur diverses plateformes qui les accompagnent dans un premier temps à l’alphabétisation, ensuite à l’éducation numérique économique. Le but au final, est de pouvoir en faire des acteurs économiques.

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En quoi la forte présence des femmes dans le domaine numérique est-elle un enjeu économique majeur ?

Les femmes représentent 51% de la population au Sénégal. Si on leur permet de mieux utiliser internet comme un outil, cela aura une incidence économique.  Je pense notamment à une grande partie de ces femmes artisanes ou qui produisent de la valeur dans des contrées éloignées du pays. Le numérique serait un moyen efficace de leur permettre de toucher plus de clients, et ainsi d’augmenter leurs chiffres d’affaire, ce qui aurait un impact dans l’économie globale. Le Sénégal est classé parmi les pays dont la contribution d’internet au PIB est la plus importante au monde. Nous avons cette position parce qu’il y’a une vraie économie de l’internet qui se crée au Sénégal, et il faut y inclure les femmes.

Comment est-ce que les hommes peuvent accompagner la transformation numérique féminine ? Quel serait leur rôle ?

Je pense que le rôle des hommes est déterminant. En tant que décideurs, ils peuvent accompagner la question de l’égalité numérique par le renforcement des investissements financiers. Ils peuvent aussi intervenir en militant pour que les femmes accèdent à des postes de responsabilité. D’un point de vue stratégique, ils peuvent aussi être des mentors et accompagner les jeunes filles à s’approprier le numérique notamment dans le domaine de l’entrepreneuriat.

Pour finir, les maris doivent avoir un rôle de partenaire et de soutien, en créant au sein de leur famille un cadre propice à l’évolution de la carrière de leurs épouses.

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