POURQUOI LES EQUIPES AFRICAINES NE GAGNENT PAS LA COUPE DU MONDE ?

Kylian Mbappé portant le trophée lors de la victoire de l'équipe de France au dernier mondial

On a assisté ces derniers jours à un débat important sur le football. Plus que du divertissement, la finale de la coupe du monde 2018 a eu quelque chose de politique. L’équipe de France qui a gagné, s’est retrouvée au centre d’un débat sur « l’africanité » de ses joueurs. Le continent s’est réjoui avec la France et a partagé le bonheur de ces joueurs d’origine africaine sur le toit du monde. D’aucuns ont voulu marquer leur appartenance totale à la France de manière maladroite, s’attirant les foudres des ressortissants de leurs pays d’origine. Trevor Noah, humoriste d’origine Sud-Africaine animant le Daily Show aux USA,  a reçu une lettre d’un ambassadeur français suite une chronique humoristique où il considérait que « L’Afrique avait gagné la coupe du monde ». Beaucoup de passion qui nous ramène à nous poser des questions, sur nos sélections et leurs performances en coupe du monde. L’Afrique regorge de talents en matière de football, pourquoi ses pays n’arrivent-t-ils pas à atteindre le toit du monde ?

L’international Marocain Lari Ben Barek

Le football fait son apparition en Afrique avec la colonisation au début du XXe siècle[1]. Des fédérations sont créées au sein des colonies et les meilleurs joueurs ont l’opportunité de jouer pour l’équipe du colon, comme le Marocain Larbi Ben Barek à la fin des années 1930 pour l’équipe de France.[2] Après les indépendances, les états ont tôt fait de créer leurs fédérations qui ont désormais une place sur l’échiquier international. Le football des colonies a cependant été très influencé par cette période. « Dans les pays anglophones, les équipes ont adopté le style anglais et dans les pays francophones, le style français. Lorsque les clubs européens ont commencé à recruter des joueurs africains, ils ont naturellement puisé dans leurs anciennes colonies. » expliquait Claude Le Roy, ancien sélectionneur d’équipes africaines dans une interview récente.

Dans de nombreux pays d’Afrique, le football est le sport roi et entretient des liens étroits avec l’État. Le football fédère les nations. Le peuple n’est jamais plus patriote que lorsque l’équipe nationale joue. Stanley Rous, arbitre international britannique devenu plus tard président de la Fédération Internationale expliquait aux membres du comité exécutif de la FIFA, à son retour d’un voyage au Congo-Brazzaville en 1965, son étonnement devant la profondeur des liens unissant le football et le pouvoir dans cette partie de l’Afrique où, d’après lui, les fédérations étaient devenues de « simples auxiliaires des gouvernements [3]».  On se souvient du sort réservé à la malheureuse équipe des éléphants de Côte d’Ivoire après son élimination prématurée de la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) en 2000. Ceux-ci avaient été rapatriés d’urgence et conduits dans le centre du pays, à Zambakro où ils avaient été abandonnés aux bons soins des maîtres des lieux, les militaires. De nombreux stades africains portent les noms des dirigeants et on ne compte plus le nombre d’entorses à l’absence de bi-nationalité çà et là pour récupérer des joueurs évoluant à l’étranger.

Le nombre de joueurs africains évoluant à l’étranger n’a cessé d’évoluer ces dernières années. En 1995, l’arrêt Bosman autorisant le recrutement de joueurs étrangers a signé l’exode complet des clubs de tous les pays en voie de développement. En 1978, seuls deux joueurs tunisiens sélectionnés pour les qualifications pour le mondial jouaient à l’étranger. En 1982, dans l’équipe d’Algérie, six joueurs évoluaient en France. La même année, dans la sélection camerounaise, quatre footballeurs jouaient hors Afrique. En 1990, leur nombre est de dix. En 1994, si les Camerounais jouant à l’étranger sont toujours dix, seulement deux des vingt-deux Nigérians convoqués jouent en Afrique. Lors de la phase finale de la Coupe du monde 2002, un pourcentage record de 76,4 % des 110 joueurs africains présents dans les cinq sélections africaines qualifiées évoluent en dehors du continent noir, principalement en Europe. Lors de l’édition 2006, aucun footballeur sélectionné par la Côte d’Ivoire ne joue dans le championnat ivoirien. La présence dans les sélections nationales de footballeurs jouant dans des clubs étrangers est un phénomène général, mais son ampleur est bien plus importante pour les équipes africaines : pour la phase finale du Mondial 2006, le pourcentage de joueurs évoluant pour des clubs situés en dehors du pays dans lequel ils ont été sélectionnés est, en ordre croissant, de 18,5 % pour les pays de la confédération asiatique, de 36,3 % pour ceux de la confédération d’Amérique centrale et du Nord, de 48,8 % pour ceux de la confédération européenne, de 66,3 % pour les pays de la confédération d’Amérique du Sud et de 80,9 % pour la confédération africaine.[4]

Les clubs européens recrutent sur les territoires africains en association avec les petits clubs de formations locaux ou grâce à des recruteurs sur place. Le rêve des joueurs africains est de partir vers de meilleures infrastructures. « Les compétitions nationales égyptienne, tunisienne et sud-africaine sont attractives et consistantes, d’ailleurs leurs meilleurs représentants sont compétitifs et performants en Ligue des champions de la CAF. Cependant, l’attractivité des championnats européens conduit les meilleurs joueurs africains à tenter l’expérience européenne où les rémunérations (salaires et primes diverses) sont autrement plus conséquentes. » a déclaré Paul Le Guen, ancien sélectionneur du Cameroun notamment. Au Maghreb, les championnats locaux vivent et réussissent à trouver leur public. « L’Égypte est un pays de 80 millions d’habitants, puissant, très nationaliste. Les joueurs préfèrent souvent rester chez eux, et ils le peuvent, car les salaires versés par les clubs égyptiens sont tout à fait corrects. » nous dit Jérôme Champagne ancien Directeur des Relations Internationales de la FIFA[5].

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En Afrique subsaharienne à part le Tout Puissant Mazembe de Moïse Katumbi, très peu de clubs tirent leur épingle du jeu sur le long terme. Le Canon de Yaoundé qui a un jour accueilli George Weah ou Roger Milla, n’est plus que l’ombre de lui-même. Grâce à l’organisation de compétitions internationales, des pays comme l’Angola ou l’Afrique du Sud ont pu se doter d’infrastructures de qualité. Il est cependant dommage que l’avancée du sport africain dépende de subventions et d’impulsions ponctuelles au gré des compétitions et que le rêve de milliers de jeunes talentueux aille se briser sur les terrains du Golfe ou en Europe de l’Est pour pouvoir à tout prix quitter leurs pays. Des exemples de résilience existent toutefois. Au Sénégal, l’école de football des Diambars offre une formation efficiente sportivement et économiquement. Sans la Coupe Top au Cameroun, il n’y aurait pas eu de Samuel Eto’o Fils.

Le Tout Puissant Mazembe, un des clubs les plus perfomants d’Afrique

Ayant abandonné la construction de championnats locaux et d’infrastructures adaptées pour développer le sport, les gouvernements se tournent vers les joueurs évoluant à l’étranger ou les jeunes disposant de double nationalité. Comment développer l’attachement pour un pays qui ne vous offre que la possibilité de participer à des compétitions internationales où vous sortirez peut-être au premier tour ? Plutôt que de réguler les départs ou de développer un environnement propice à l’attachement à la patrie, les États africains jouent sur une forme d’action-inaction, recrutant les services d’anciens joueurs internationaux pour tenter de convaincre les joueurs de jouer pour des équipes nationales africaines. Quand bien même, des équipes sont formées, on ne compte pas le nombre de scandales sur les primes non versées. La corruption gangrène le foot et de nombreux joueurs qui gagnent des salaires énormes en Europe se refusent à accepter les conditions désastreuses que leur offrent leurs fédérations par amour pour la patrie.

Sandra Tshiyombo nous parle de football

A sa grande époque, le Cameroun de Mboma, Eto’o, Njitap, Foe, etc. a fait rêver et a porté toute une nation, tout un continent. Serena Williams a porté le maillot du Cameroun à Rolland Garros. L’ambiance n’aura plus jamais été la même après le départ de certains cadres. Les accusations d’ingérence de l’Etat ou d’attribution de rôles de « super-joueur » ont tué le rêve. Les entraîneurs changent tous les ans et ne sont jamais locaux. Le phénomène est général. On préfère les « sorciers » blancs que l’on jette à la première défaite. Pendant la coupe du monde qui vient de s’achever, l’entraineur sénégalais Aliou Cissé a montré que les choses étaient possibles. Si son équipe n’est pas sortie des poules, elle aura au moins donné une belle leçon.

Le talent ne fait pas tout. Football, argent, colonialisme, patriotisme, nationalisme et politique sont des termes finalement très liés. Les clubs de foot super puissants sont naturellement ceux qui ont le plus de moyens. Les joueurs comme les richesses naturelles sont extraits des pays les plus pauvres. Ceux dont les championnats résistent sont ceux qui ont cette once de nationalisme et de patriotisme qui leur permet de se « protéger ». Les pays avec les meilleures infrastructures en Afrique n’ont pourtant pas les meilleurs résultats. Seules cinq équipes africaines ont aujourd’hui la chance de participer au Mondial. Avec l’élargissement prévu du nombre d’équipes participant à la compétition, il y aura peut-être plus de places pour les équipes africaines. Des équipes qui seront peut-être mieux préparées physiquement et psychologiquement, des équipes qui n’auront pas à se soucier de l’avis des dirigeants politiques, des équipes qui auront peut-être leurs primes à temps…

Le rêve est permis, et à défaut d’être champions du monde, ils peuvent toujours miroiter le rêve de devenir Président de la République, comme Georges Weah.

 

 

[1][1] Source : Africa, Football and the Fifa. Politics,…. De P. Darby
[2] Source : Le football africain entre immobilisme et extraversion de Raffaele Poli et Paul Diestchy
[3] Source : Archives FIFA
[4] Extrait de Le football africain entre immobilisme et extraversion de Raffaele Poli et Paul Diestchy
[5] Dans une interview au Monde Diplomatique
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