Entrepreneur en série depuis ses études supérieures à l’école polytechnique de Montréal au début des années 90, Karim Sy, questionne le monde depuis plus de 25 ans. Il y’a 7 ans, il fonde Jokkolabs, une initiative privée à but non lucratif, pour, nous dit-il « devenir un catalyseur du changement ». Par la force des choses, il devient donc un entrepreneur social reconnu par ses paires : en 2012, il est élu Ashoka Fellow , acteur du changement social. Karim Sy est convaincu qu’il est temps que tout le monde mette la main à la pâte pour « changer collectivement le futur, dépasser nos différences et construire sur ce qui nous rassemble ». Il faut dire qu’on ne pouvait pas trouver mieux comme ambassadeur du rassemblement. Karim est fils d’un père malien musulman et d’une mère libanaise chrétienne du Liban. Il a grandi en France, en Côte d’Ivoire, au Mali et en Ethiopie. Il se considère comme un pont entre les cultures et prône l’action dans la diversité. Rencontre.
Comment naît Jokkolabs
Jokkolabs est plus qu’un projet, c’est mon engagement personnel pour appréhender l’usage du pouvoir transformateur des technologies pour inventer le futur, collectivement. Cette aventure humaine a muri tout au long de mon parcours. Le déclencheur a été la crise de 2008 qui m’a vraiment donné envie de m’engager. Pour m’aider dans ma réflexion, je me suis inscrit à un programme particulier du British Council qui ciblait des décideurs africains : le « Strategic Leadership Program ». L’échange avec des décideurs, notamment ceux d’Afrique du Sud a été déterminant. J’y ai vu un pays peu sécurisé et divisé, résultat d’une politique qui a favorisé les inégalités. C’était un peu voir ce qui peut se produire à grande échelle quand seule une minorité bénéficie d’une vie prospère. L’idée de me lancer dans un projet pour lutter contre les inégalités a fait son chemin et s’est traduite par Jokkolabs. Fruit de mon expérience et de ce que je peux apporter, vecteur d’une diversité d’énergies : un système pour favoriser l’entrepreneuriat. Nous avons plus que jamais besoin, en Afrique et dans le monde, de personnes qui osent imaginer des projets, qui font bouger les lignes et qui se lancent passionnément dans l’aventure sans filet, en s’adaptant au contexte.
Si le potentiel créatif et économique du continent rencontre l’énergie formidable de notre jeunesse, je suis persuadé que l’impact sera phénoménal à tous les niveaux.
Il faut désormais voir l’Afrique comme une terre d’opportunités. Et pour y arriver, il faut faire confiance aux jeunes. La nuance que nous apportons c’est qu’il est important de ne pas juste s’intéresser à son projet individuel mais aussi à son apport pour la communauté locale et globale. On peut aider avec peu de moyens si nous le faisons collectivement. Sinon, nous reproduisons les « comportements entrepreneuriaux » et les modèles qui ont conduit à la crise de 2008. J’ai la chance d’avoir des entrepreneurs qui ont rejoint mon analyse et veulent porter avec moi l’initiative Jokkolabs dans leur pays comme Cheickh Omar Ouedraogo au Burkina Faso, Seydou Sy au Mali, Mohsen Chirara au Sénégal, Philipe-Marie Koffi en Côte d’Ivoire, Jean Louis Ercolani à Nanterre en France, Aboubaker Benslimane au Maroc ou encore notre marraine au Cameroun Mareme Malong. Nous sommes 12 aujourd’hui, représentés dans 9 pays.
Depuis 7 ans, je ne cesse d’être surpris par le dynamisme et le potentiel que je vois s’exprimer dans la communauté Jokkolabs ce qui est encourageant pour la suite de l’aventure.
Des espaces de co-working sur le continent, il y’en a désormais à la pelle. En quoi les espaces Jokkolabs sont-ils différents des autres ?
Jokko en wolof c’est la connexion, le lien. Jokkolabs c’est plus qu’un espace, c’est un lieu qui doit permettre de construire des liens improbables avec d’autres entrepreneurs mais aussi d’autres communautés et projets, au niveau local et global, ce qui doit décupler le potentiel de l’entrepreneur. Le sens de la communauté est important pour nous, il donne le sens à l’action. Nous sommes entrain de développer une plateforme dédiée pour permettre d’étendre cette expérience à d’autres espaces via le programme Jokkolabs Connect. Mais aussi le rajout de nombreux services pour les membres. En résumé, Jokkolabs n’est pas un espace de co-working mais un écosystème nouvelle génération de l’innovation ouverte, pour une prospérité partagée.
En 7 ans d’existence, les hubs Jokkolabs ont accueilli des dizaines de projets. Pouvez-vous citer quelques projets qui vous ont marqué et qui existent toujours aujourd’hui ?
Wizilli, une belle plateforme de marketing social média frugale développée par l’agence 3W. Le fondateur, Ludovic Lima, a commencé à Jokkolabs et tranquillement développé sa solution. C’est la première agence à avoir noué un partenariat avec Facebook et développé des applications sur le réseau social. Aujourd’hui, 3W a des clients dans plusieurs pays d’Afrique de l’ouest et du Centre parmi lesquels Airtel, Orange. http://3w.agency/
Dev Engine Lab., une jeune startup qui a une belle progression. Montée par Jimmy Kumako et Martial Konvi. Ils ont commencé par développer des applications mobiles pour des entreprises aux Etats Unis, en Asie, au Sénégal. Ils ont accompagné des startups de référence comme Marodi. Récemment, ils se sont associés à un ancien de Google France pour lancer la startup Coin Afrique la première application africaine 100% mobile de petites annonces. Ils affichent aujourd’hui plus de 300 000 téléchargements dans 17 pays et plus de 30 500 annonces ! Ils sont aussi lauréats du challenge panafricain que nous avons monté avec la Société Générale, ce qui leur vaut de développer un Proof Of Concept avec une filiale africaine de la SG pour une application d’amélioration de l’expérience client en agence.
Mon coup de cœur de l’année va pour un projet qui mêle valorisation d’un territoire, art contemporain et digital. C’est ART+Casamance, un musée virtuel pour l’art contemporain africain, porté depuis 2015 par une passionnée Sabrina Daniel Calonne de l’association Archipel. Jokkolabs accompagne maintenant ce projet pour monter le ART+AFRICA un musée virtuel mutualisé pour les galeristes et artistes africains. Nous avons l’avantage de bénéficier dans le réseau Jokkolabs de l’expérience de notre marraine du Cameroun Marème Malong qui a monté il y a 21 ans la première galerie d’art contemporain la Galerie MAM abritée dans le complexe MJM (Galerie Mam, espace Jokkolabs et le salon littéraire MOSS, mais aussi de la fondation Donwahie en Côte d’Ivoire). L’Afrique reste une terra incognita dans le domaine des arts et de la production locale. ART+Casamance a montré une nouvelle voie pour en valoriser le potentiel, déjà quelques œuvres ont été vendues en ligne. C’est vraiment passionnant.
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