ROSINE EKAMBI SOPPO : «Les entreprises orientées B2B sont plus intéressantes pour le capital-risque que les entreprises orientées B2C»

Rosine Soppo Ekambi
Rosine Soppo Ekambi

Très jeune, Rosine Ekambi Soppo développe une passion pour l’entrepreneuriat grâce à des parents autodidactes. De retour au Cameroun, elle fonde SuiTch, une fintech qui offre des services financiers numériques à destination des populations sous-bancarisées et non bancarisées : principalement les jeunes et les femmes, la majorité étant dans le secteur informel. Son objectif premier est de rendre abordables et accessibles les services financiers aux populations peu considérées par le système. Elle doit son expertise en capital-risque à la gestion d’un club d’investissement, Malaika Investment Partners, qui vise à fournir un soutien financier aux PMEs.

 

Racontez-nous comment vous êtes partie de la banque d’investissement à la création de SuiTch ?

Dans ma famille, j’ai la réputation d’être l’intello, celle qui a toujours de bonnes notes, qui essaie d’amener les gens à faire les choses correctement. En tant qu’ingénieur financier, je me suis rendue compte que ma mère, qui avait des activités génératrices de revenus, n’avait jamais eu de compte bancaire. Elle n’avait jamais ressenti le besoin d’en avoir et personne ne lui avait dit qu’elle pouvait en avoir. À mon retour au Cameroun, j’ai commencé à lui en parler et la première étape du processus a été l’ouverture d’un compte d’épargne. Elle s’était rendue dans une microfinance et avait ouvert un compte comme je le lui avais conseillé. Mais quelques mois plus tard, elle avait commencé à se plaindre des montants élevés prélevés chaque mois sur son compte -Il s’agissait des frais de gestion du compte – Fatiguée de payer trop cher, elle avait finalement retiré tout son argent et fermé le compte. Cette expérience m’a montré que beaucoup de gens sont dans la même situation et qu’il y a une inadéquation entre leurs besoins et les services financiers proposés actuellement. C’est pourquoi j’ai créé SuiTch.

Quel problème SuiTch vient résoudre ?

Avec SuiTch, nous résolvons trois problèmes : l’accessibilité, le coût et l’expérience utilisateur des services financiers. Une grande partie de la population n’a toujours pas accès aux services financiers en raison de la paperasserie, du coût élevé, du manque de services à valeur ajoutée et ceux qui y ont accès sont insatisfaits de l’offre. Notre objectif est de proposer une alternative qui favorisera la croissance de notre cœur de cible à savoir : le bas de la pyramide qui semble être abandonné par les banques et autres institutions financières en lui fournissant des services financiers adaptés.

Selon Big Deal, les femmes dirigent 40 % des PMEs africaines mais ne reçoivent que 1% des financements provenant des fonds d’investissements et capitaux. En tant qu’investisseur, quels sont les facteurs qui contribuent à cette disparité ?

En tant qu’investisseur, je me suis toujours demandé pourquoi je recevais si peu de candidatures féminines. Il est vrai que le nombre d’affaires portées par les femmes n’est pas suffisant pour équilibrer la balance. Peu d’entre elles ont la même soif que les hommes et elles n’exploitent pas toutes les voies possibles de financement. Elles souffrent également du syndrome de l’imposteur par manque de confiance en elles. Lorsqu’il s’agit d’ouvrir leur capital, elles sont assez hésitantes et préfèrent commencer modestement par manque d’éducation financière. Heureusement, au Cameroun, ces jours-ci, de nombreuses femmes prennent les devants et dirigent le mouvement, de sorte que nous pouvons espérer voir un changement.

Selon Forbes, en Afrique francophone, les groupes informels d’épargne et de crédit appelés « tontines » sont monnaie courante. Dans ces régions, les femmes créent leurs entreprises en empruntant à leurs proches. Dans certains pays, seuls 3,5 % d’entre elles empruntent auprès de banques ou de micro-institutions. Que peut-on faire pour améliorer l’accès des femmes aux financements ?

Les tontines et le love money de la famille et des amis sont les méthodes de financement les plus répandues en Afrique car elles sont basées sur la confiance mutuelle. A titre d’exemple, les tontines regroupent plus de 60% des Camerounais et peuvent collecter jusqu’à 500 milliards de F CFA par an (CRTV). Si elles sont structurées, elles peuvent devenir un mode général de financement de l’économie. Dans nos pays, les banques, les micro-institutions et même les opérateurs télécoms ont encore beaucoup de travail pour inclure la population dans leurs offres. Dans la plupart des cas, seuls ceux qui peuvent fournir une garantie peuvent demander un prêt. Pour les opérateurs téléphoniques, la paperasse, le coût, l’expérience de l’utilisateur et le manque de soutien font qu’il est difficile d’intégrer les gens facilement. De plus, le manque de confiance dans ces institutions ne contribue pas à créer une relation forte avec la population.

Pour améliorer l’accès des femmes aux fonds, il faut : améliorer leur confiance en elles grâce à une bonne éducation financière; s’assurer qu’elles comprennent qu’elles ne sont pas arrivées là où elles sont par hasard et qu’elles méritent d’y être; leur faire comprendre qu’elles ont le droit de parler d’argent sans complexe et leur faire comprendre que leur activité doit pouvoir générer des revenus pour qu’elle soit pérenne et qu’elles puissent en vivre. Parler d’argent est donc essentiel.

Rosine Soppo Ekambi
Rosine Soppo Ekambi

Selon Pitchbook, moins de 2 % des financements en capital-risque sont alloués à des équipes fondatrices exclusivement féminines en 2021. En tant qu’investisseur, que faites-vous pour accroître la part des femmes ?

Par l’éducation financière et la contribution de l’écosystème à la création et à la promotion de produits plus adéquats et dédiés aux femmes comme des incubateurs/accélérateurs axés sur les femmes.

La collecte de fonds est un aspect important de la croissance d’une entreprise. Quels sont les échecs courants des entrepreneurs lorsqu’ils présentent leur entreprise à des investisseurs ?

La mauvaise qualité du pitch; le manque de concentration sur la résolution d’un problème spécifique; le manque d’attention portée à la création d’un véritable avantage concurrentiel; la mauvaise connaissance des chiffres clés de leur activité, la mauvaise connaissance de leur marché, l’incohérence entre les fonds demandés et les besoins réels de l’activité; le manque de diligence quant au type d’investisseurs auxquels ils doivent s’adresser et à leurs antécédents; l’inadéquation entre le produit ou le service et le marché; l’accès au capital étant difficile, les entreprises qui nécessitent des levées de fonds importantes sont compliquées à mettre en œuvre. C’est pourquoi les entreprises B2B sont plus intéressantes pour le capital-risque que les entreprises B2C.

Quelles sont les erreurs les plus courantes que les investisseurs commettent lorsqu’ils investissent dans les entreprises africaines ?

Pour les investisseurs étrangers, le manque de diligence à l’égard des fondateurs.Ils ont parfois tendance à transposer en Afrique l’expérience qu’ils ont vécue dans leur pays. La plupart d’entre eux ne comprennent pas vraiment les vrais défis et ne s’immergent pas dans notre environnement. Ils ont tendance à orienter par leur financement les secteurs dans lesquels les investissements doivent être réalisés sans avoir une bonne compréhension des besoins locaux. Les investisseurs locaux quant à eux ont tendance à n’investir que dans des activités génératrices de revenus à très court terme, mais on ne construit pas une économie en vendant des produits importés.

Que faire pour dynamiser les investissements locaux?

Même si j’ai réussi à lever beaucoup de fonds localement grâce à mes antécédents, il est difficile de compter sur les investisseurs locaux, qui sont pourtant les plus à même de comprendre le problème que nous voulons résoudre. Ils sont encore réticents à prendre des risques, surtout lorsqu’il s’agit de l’industrie technologique. Nous devons être capables d’être constamment créatifs avec des stratégies innovantes pour survivre, nous réinventer, pivoter si nécessaire et construire des stratégies d’amorçage afin de ne pas dépendre de la collecte de fonds.

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