Kiro’o Games, aussi connu sous le nom de Kiro’o Studio est le premier studio de jeux vidéo en Afrique Centrale. Fondé en 2003 par Olivier Madiba et Jacques Oscar Matike, ce désormais célèbre studio offre clairement ce qui se lit dans son slogan : Game – Spirit – Design. Kiro’o Games a un carnet déjà bien fourni : (Aurion) le 1er jeu PC d’African-Fantasy, la plate-forme de mentoring (Rebuntu), la bande dessinée en ligne, disponible gratuitement sur leur site internet et aussi sur d’autres sites spécialisés tel que Mangadraft. De plus, un jeu mobile intitulé « le Responsable » qui est le 1er jeu mobile comique sur la vie des fonctionnaires Africains est en cours de développement et devrait voir le jour au courant de cette année. Ce niveau d’activité suggère de belles perspectives qui pourraient justifier l’annonce récente par Olivier Madiba de l’ouverture du capital de Kiro’o Games pour une seconde fois.
Inspire Afrika : Bonjour Olivier, vous êtes la tête de file d’une équipe dont le travail est désormais reconnu et apprécié, quel est votre sentiment à ce sujet ?
Olivier MADIBA : Je suis Fier et stressé en même temps. Je parle de fierté parce je suis content de voir que le travail qu’on a abattu a été apprécié. Je suis surtout fier d’avoir une équipe qui se donne à fond pour qu’on arrive à ce niveau de performance et de résultat. Je suis tout de même stressé parce que maintenant on a beaucoup à perdre quand on fait quelque chose. C’est-à-dire que chaque fois qu’on fait un jeu on a la pression du fait que le prochain jeu ne doit pas être en dessous de ce qu’on a déjà eu à réaliser car il faut maintenir le leadership sur certains aspects.
I.A : Comment évaluez-vous la performance du studio depuis sa création jusqu’à nos jours ?
O.M : Je pense que le studio est allé au-delà de ses objectifs sur plusieurs plans. Cependant, nous aurions aimé faire plus sur le niveau de vente du premier jeu. Disons simplement que nous avons dépassé toutes nos attentes sur tous les plans en termes de symbolique, en termes de reconnaissance par les experts du jeu vidéo et en termes d’impact sur notre pays parce que notre travail inspire beaucoup de jeunes Camerounais. Maintenant il y a des éléments sur lesquels on aurait pu mieux faire comme par exemple la budgétisation du projet parce que nous avions mis 90 % des fonds sur la création du jeu et pas assez sur la publicité. Toutefois c’est un aspect que nous comptons bien rectifier.
I.A : Votre équipe est plus ou moins connue, grâce notamment à votre site internet et vos autres publications, mais qui sont les actionnaires derrière cette équipe ? Leurs profils ? Leurs origines ?
O.M : 76% de nos actionnaires sont Camerounais, dont la majorité est issue de la diaspora. Les femmes ont investi plus vite que les hommes, même si après ces derniers ont eu plus de parts. Nous pouvons dire que nous avons un vrai soutien. Malgré le fait que nous ne soyons pas toujours d’accord avec nos actionnaires, nous n’avons aucun scandale à signaler jusqu’à présent ; ce qui implique que même avec nos actionnaires, il existe un réel esprit d’équipe. Nous espérons d’ailleurs que nous réussirons à obtenir une aussi bonne main sur la levée actuelle.
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I.A : Pourquoi une nouvelle ouverture du capital de Kiro’o Games et quelle est la destination des fonds récoltés ? Pourquoi cette option plutôt qu’une autre forme de financement ?
O.M : Nous avons effectué un pivotement de notre business model car nous voulons nous installer sur le marché africain. La mise en place de ce changement nous a pris trois ans du fait des recherches que nous menions en interne afin de savoir quelle est la formule du jeu vidéo Africain qui serait adopté par le public africain, tout en essayant d’aller au-delà de ce qui avait été tenté avant. C’est-à-dire faire des jeux Africains pour Africains. Nous avons vu que chez les studios qui l’ont tenté ce n’était pas un gage de succès absolu. Nous pensons qu’en 3 ans, la solution a été trouvée. De plus, nous avons essayé de lever les fonds par la voie classique mais vu que nous faisons encore un changement de business plan, ce que nous avons accompli n’est pas considéré par la finance classique comme un CV. La preuve vous pouvez faire un très bon jeu PC, mais quand vous vous lancez dans les jeux mobiles, l’on vous dit que vous n’avez pas encore de traction. Disons que la plupart des financiers classiques attendent encore une fois de plus que nous ayons réussis sur ce nouveau business model mais nous mutualisons plusieurs formes. C’est-à-dire qu’en même temps que nous essayons de lever les fonds pour ce dont nous avons besoin, nous travaillons avec des fonds ou des syndicats de « business angels » plus classiques qui vont nous mettre dans le circuit normal. Nous pensons aussi qu’avoir des actionnaires c’est un atout parce qu’ils fournissent une bonne base de test et de marketing. Si par exemple vous avez 200 actionnaires ceux-ci représentent au moins 200 personnes qui vont parler du produit dans votre communauté. Par conséquent il y a un avantage à utiliser cette technique.
I.A : Pour une opération de levée de fonds comme la vôtre, les investisseurs s’intéresseront aussi aux garanties que Kiro’o Games apporte pour s’assurer que la valeur des parts du studio augmentera. Que pouvez-vous dire à ce sujet ?
O.M : Le bon côté c’est qu’à part une catastrophe, la valeur de nos parts ne va jamais baisser après chaque « checkpoint ». Chaque jeu, chaque bande dessinée ou dessin animé que nous ferons augmentera la valeur du studio. Il peut exister à la limite un risque que le secteur connaisse une chute à cause de gros changements futurs mais nous voulons faire des jeux qui ne se limitent pas au divertissement pur. Nous voulons faire des jeux qui règlent de vrais problèmes en chemin. Je ne parle pas de jeux centrés sur l’éducation et la bonne moralité, je parle du fait que dans les projets qui ne sont pas encore révélés au grand public, il y a des technologies basées sur du jeu vidéo qui vont régler des problèmes énormes comme celui de l’accès au financement. Vous vous demandez comment est-ce qu’on peut faire qu’un jeu vidéo règle le problème d’accès au financement ? Kiro’o va vous le montrer. Nous sommes tellement avant-gardistes sur ce qu’on fait qu’il y a 70% de chance qu’on se loupe pour une question de timing. Par contre il y a 0 % de chance que nous arrêtions et c’est ce sur quoi les actionnaires peuvent avoir une garantie. Ils ne recevront jamais un mail dans lequel Kiro’o dit être fatigué et veut arrêter ses activités à cause des difficultés éventuelles que nous aurons rencontrés. Kiro’o va toujours pivoter pour s’adapter aux nouvelles choses du monde. Certes ça ne va jamais se passer comme prévu mais Kiro’o a une équipe qui sait s’adapter et réagir de façon extrêmement efficace. Voilà pourquoi la valeur du studio augmentera parce que la valeur des hommes et femmes qui le compose ne cesse d’augmenter grâce au fait que nous nous challengeons toujours pour aller le plus loin possible.
I.A : Quel est votre avis sur l’univers des start-ups au Cameroun ? Et en Afrique en général ?
O.M : Je pense que les jeunes ont du potentiel, et qu’ils ont besoin d’encadrement pour réussir à structurer ce qui est souvent une bonne intention avec la bonne façon de faire. Et bien que plusieurs jeunes entrepreneurs essayent de mobiliser le maximum de chances de leurs côtés à travers des conférences, des séminaires et du coaching, ils trouvent difficilement un bailleur de fond prêt à les financer. Par contre ce qui serait dangereux c’est de dire à tout le monde qu’il peut être entrepreneur et finir en bourse car il y a des paliers. Même le petit commerçant est considéré comme entrepreneur. Je pense qu’on devrait encourager tous ceux qui ont la volonté de travailler pour un avenir commun meilleur ; que ce soit des entrepreneurs qui ont le vent en poupe aujourd’hui ou les fonctionnaires qui font leur travail malgré les pressions et tentations. Autre chose à ajouter c’est qu’on a un déficit de 119 millions d’emplois en Afrique. Si dans 10 ans l’on n’arrive pas à créer autant d’emplois ce sera la catastrophe. Je prends le Cameroun par exemple. 40 % de la population au Cameroun à moins de 14 ans dans 20 ans ils auront tous 20 à 34 ans. Si on ne crée pas au moins 5 millions d’emplois on risque de se retrouver dans une guerre sociale que l’humanité n’aura jamais connue.
I.A : Récemment, une vague de polémiques s’est étendu sur certains jeunes entrepreneurs camerounais, notamment à propos de la prédominance de leur communication sur leurs réalisations. En tant que jeune entrepreneur camerounais, quel commentaire pouvez-vous faire ?
O.M : (Rire) je sens que les lecteurs attendaient cette question. Tout le monde doit communiquer sur ses activités avec confiance. C’est quelque chose qu’on ne devrait pas retirer aux jeunes entrepreneurs. Il ne faut pas se mettre dans une polémique à juger un entrepreneur si on n’a pas tous les éléments qui l’incrimine à part si c’est d’une flagrance absolue. Ce qu’on doit comprendre c’est qu’il y a un travail dans les deux sens qui devrait être fait. Les entrepreneurs doivent apprendre à parler de leurs objectifs sans fausser les statistiques et le grand public devrait apprendre qu’un entrepreneur n’est pas à l’abri de l’échec. Le public doit par conséquent encourager les entrepreneurs qui ont tout donné même s’ils n’ont pas atteint leurs objectifs.
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I.A : Comment voyez-vous l’univers du jeu vidéo au Cameroun dans une dizaine d’années, étant donné que des grandes entreprises s’y intéressent déjà ?
O.M : Je pense qu’il y aura des pics de gloire mais aussi de grands moments de crise. En ce moment jusqu’en 2025 on aura probablement un ou deux pics de gloire où les jeux vidéo Africains vont connaitre un réel succès. L’époque où un studio africain devait juste espérer devenir le Nintendo local est finie. Si vous faites cela vous n’allez pas réussir car tout ça c’est du passé. Donc il y a un défi consistant à inventer une route qui vous donnera 10 coups d’avance en permanence sur les autres : c’est ce que Kiro’o essaie de faire par rapport au marché africain. Maintenant l’évidence c’est que le jeu en Afrique va plus se développer sur mobile. Toutefois ce sera la capacité à créer des services autour des jeux qui va créer la différence. Il faudra donc réussir à permettre aux jeux d’atteindre certains objectifs communautaires et sociaux.
I.A : Pourrons-nous parler de compétitions nationales d’eSport dans 5 ou 10 ans ? Kiro’o Games s’est-il penché sur la question ?
O.M : Le gaming Day de Brice Abega fait un très bon boulot sur l’eSport actuel, sur le plan national et international. Nous essayons de le soutenir autant que possible. Kiro’o pense à développer des produits locaux pour du e-sport à partir de 2021 lorsque nous aurons établi une équipe qui aura ce qu’il faut pour y arriver.