PATRICIA ESSONG : NOUS SOMMES EN PLEINE ÈRE BANTU ET NOUS N’EN SOMMES QU’AU DÉBUT

Photo : Mehdi Sefrioui

Patricia Essong, c’est un grand afro qui ne passe pas inaperçu, un grand sourire et une joie de vivre qui ne laissent pas indifférent. C’est aussi et surtout une voix qui vous transporte quelque part sur le continent. Son tout premier album Soul of a Nü Bantu est sorti le 10 février. Elle y reprend des classiques africains avec des intonations soul/jazz. Enfin, Patricia Essong, c’est une maman, ex-consultante en management qui a choisi de suivre son rêve. Elle nous parle de son parcours, de son regard sur la musique africaine et de la nécessité d’aller aux bouts de ses ambitions.

Photo : Mehdi Sefrioui
Photo : Mehdi Sefrioui

● Quel a été le déclic qui vous a fait passer d’une carrière dans le conseil en management pour la chanson ?

J’ai grandi au Cameroun, j’ai toujours évolué avec le sentiment certain de n’être pas allée au bout de la passion qui m’habite. D’autant plus qu’ado, ma première tentative d’expression musicale a été pénible avec ce chef d’orchestre qui m’a fait sortir du groupe parce que je chantais faux. Bercée par Tracy Chapman, je me suis renfermée dans mes études et je vivais dans la voix de Tracy Chapman.
Arrivée en France, j’ai ressenti ce qu’on appelle la liberté d’être soi, mais je n’avais pas encore fait mon itinéraire vers moi, je suivais un peu les autres, je m‘adaptais à la société en jeune « blédarde » arrivée en France, voulant à tout prix représenter cette figure familiale : La petite fille modèle qui doit réussir.
J’ai donc fait mes devoirs, fondé un foyer, des enfants, des études, socialement bien. Puis la trentaine, de grosses frustrations, un sentiment de non accomplissement, des événements inattendus dans mon cercle familial. Le tout m’a fait me sentir très mal, au point d’en perdre 10 kg. Affaiblie, la sensation d’avoir toujours au final fait les choses pour plaire, pour être bien vue, pour être appréciée, et de recevoir en retour de l’irrévérence. J’ai alors réalisé à ce moment là, qu’il y avait une personne que j’avais oubliée : Moi-même.

Dès lors, je me suis répétée cette phrase qui disait que “ le meilleur jour de ta vie est celui où tu décides que ta vie t’appartient.” Tout devenait clair, je devais malgré l’adversité aller au bout de ma démarche, je me devais d’être enfin à l’écoute de cette petite voix intérieure.

J’ai changé de vie, de travail, et j’ai pris des cours de chant dans une chorale Gospel, j’ai sillonné des bars pour faire de la scène jusqu’à ce que je réalise aujourd’hui ce premier album 3 ans plus tard.

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Photo : Mehdi Sefrioui

● Pourquoi le choix de faire un album de reprises ?

Parce que j’ai atteint un âge où il est essentiel de poser des actes ayant du sens. C’est un engagement de prendre le témoin de notre culture d’origine et de la valoriser. Pour valoriser une culture, il faut aller là où elle a commencé, à la source. Et la source musicale pour ma part c’est chez nos pères, chez ceux qui ont laissé cet héritage musical, pour que la culture ne meure jamais. Prendre le témoin c’est oser les représenter, c’est oser réveiller les morts pour dire que nous ne les oublions pas, et puis “les morts ne sont jamais morts” disait Birago Diop. C’est oser être différent dans une industrie musicale où on recherche avant tout le gain avec un profil de musicien commercialement « rentable », même si intrinsèquement on peut être commercialement rentable en proposant des reprises, dans l’universel du Jazz ce n’est plus à prouver, c’est juste une question de mentalité.

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● Que pensez-vous de la scène musicale africaine actuelle ?

La scène musicale africaine est en pleine effervescence, elle l’a d’ailleurs toujours été. A la différence qu’aujourd’hui, tous les yeux sont rivés vers l’Afrique. Ce serait peut-être prétentieux de le dire, mais je pense que nous sommes en pleine ère bantu et nous ne sommes qu’au début. La scène musicale africaine connait un essor tous azimuts, elle est très variée mais le constat que je fais, c’est qu’on peine à vraiment référencer les artistes qui chantent en langues africaines dans un répertoire musical « officiel » qui prend du sens.

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En Occident, on fait de la POP, de la Soul, du R&B, du Jazz mais dès lors qu’on chante dans une langue africaine bien que le rythme soit celui du R&B ou de la POP, on va être estampillé de prime à bord dans le registre des musiques du monde. Pourquoi ? Musique du Monde ou World Music est-il le registre de la scène musicale africaine ? Pour ma part je bloque encore, mais je pense que lorsqu’on doit répertorier une musique, qu’elle soit des musiciens africains, ou indiens etc. La langue utilisée ne doit pas constituer l’élément pour le répertorier, mais le rythme, les instruments utilisés.

● A quelles difficultés avez-vous fait face dans la poursuite de votre rêve ?

Je ne sais pas si ce sont des difficultés, mais à chaque étape où on commence à buter, c’est un signe que nous allons changer de cap, l’accepter non pas comme une difficulté, mais comme une nouvelle étape dans notre processus d’évolution. La difficulté réside dans la capacité de mise à jour de nos procédés du jour au lendemain, de s’adapter, de rebondir, et de gérer parfois les égos car on rencontre plusieurs acteurs. A trouver des solutions rapidement lorsqu’un musicien n’est plus disponible pour travailler avec vous, ou bien quand moralement vous êtes faible, mais que vous devez continuer malgré tout. La question des moyens financiers qui subsistent, arriver à prioriser, c’est dur (rires). Mais durant mon parcours, la résilience a été mon meilleur allié, et je n’ai pas perdu mon enthousiasme. Mon aura a également permis d’attirer vers moi de personnes adaptées à chaque étape de ce projet, de ce parcours.

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● Quel est l’artiste avec qui vous aimeriez faire un duo ?

Incontestablement Richard Bona, j’adore sa musicalité. Lizz Wright, Tracy Chpaman, Angélique Kidjo, Asa, soyons crazy, one day! ☺.

● Est-ce que vous encourageriez un jeune africain à se lancer dans une carrière musicale ? Que lui diriez-vous ?

Bien sur, tout le monde a droit au bonheur. L’univers de la musique est vaste, il y a de la place pour tout le monde, et tout le monde a le droit d’exprimer ce qui résonne en lui.
Le conseil que je pourrai donner de ma petite expérience, ce sont ces 10 phrases qui m’ont accompagnée :

  1. Savoir exactement ce qu’on veut et ce qu’on ne veut plus
  2. Accepter de sortir de sa zone de confort
  3. Avoir beaucoup de courage et s’armer de patience
  4. Accepter que cela ne plaira pas à tout le monde
  5. Continuer de croire en soi quand personne ne croira en vous.
  6. Travailler dur
  7. S’interdire de penser que réaliser ses rêves est une question de chance
  8. Accepter de faire des sacrifices
  9. Prendre l’entière responsabilité de sa vie
  10. Sentir que l’on a un but dans sa vie, une « mission ».

Ces convictions sont toujours d’actualité. Et par-dessus tout, n’accepter que les critiques constructives et ou les conseils de ceux qui ont déjà réalisé ce que vous êtes en train de faire.

● Quels sont vos projets futurs ?

Développer déjà celui que je présente actuellement, l’album Soul Of Nü Bantu. J’aimerais l’emmener dans les festivals, voyager dans les quatre coins du monde, et chanter. Je serais d’ailleurs en concert le 13 Juin au Sentier des Halles à Paris.

Retrouvez toute l’actualité de Patricia sur http://patriciaessong.com 

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