LE PHÉNOMÈNE NAPPY EN CÔTE D’IVOIRE

Source : www.seriouslynatural.org

Né dans les années 2000 aux États-Unis d’Amérique, le Natural Hair Mouvement (connu aujoud’hui sous le nom de Nappy) prône la revalorisation de la femme noire et la promotion des cheveux crépus. Telle une vague, de nombreuses communautés voient le jour Outre-Atlantique. Des afro-descendants se sont alors réappropriés positivement le mot. Désormais, entendez par Nappy : Natural and Happy (Naturelle et Fière).
En Côte d’Ivoire, si ce mouvement séduit certaines personnes, il en fait grincer des dents d’autres. Où en est –on avec la Nappy attitude ivoirienne ? Suivez-nous dans les rues de Babi (Abidjan) où nous avons réalisé un micro trottoir. Let’s go !

Le phénomène Nappy en Côte d’ivoire : ce qu’il faut savoir.

Mariam Diaby
Mariam Diaby

« À notre époque, dans les années 60, nous raconte Madame Fani, 65 ans à la retraite, on ne savait pas ce qu’était être « nappy », on avait nos cheveux crépus, point. De toute façon il n’y avait pas de choix, les mèches n’existaient pas, encore moins les produits défrisants. Par la suite, les ghanéens ont exporté le « yomo savon » en Côte d’Ivoire. C’est sûrement le premier produit défrisant connu. Je me souviens, les veilles de fêtes, toutes les filles allaient se lisser les cheveux à l’aide du fameux « yomo savon ». Il y avait une queue interminable, il fallait donc se lever tôt pour espérer se faire belle. Bon Dieu qu’est-ce que cela faisait mal, d’où son appellation « attrape ton cœur ».
Le phénomène Nappy ivoirien débute réellement lorsque, Mariam Diaby crée en Octobre 2011, sur Facebook, un groupe appelé « nappy de babi », constitué de deux amies. Il était question dans le groupe de s’échanger des trucs et astuces pour l’entretien du cheveu crépu. De 3 membres, la communauté nappy de babi compte aujourd’hui, environs 11mille personnes.

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Nappy Ivoirien ou le désir de rompre avec les diktats occidentaux

La nouvelle génération ivoirienne en perpétuelle quête de reconnaissance de son identité africaine dont elle est sans nul doute fière, voit au phénomène Nappy un moyen de se libérer du joug colonial encore présent. Il s’agit pour certaines personnes interrogées, de bien plus qu’une simple promotion du cheveu crépu. Le phénomène Nappy est une question identitaire, une lutte au quotidien. Ainsi au sein de la grande communauté Nappy apparait différents groupes, chacun exprimant sa lutte à sa manière. Pour citer quelques-uns : les Z’afro (adepte de la coiffure afro), les Locksés (qui ont opté pour les dreadlocks), la TWA gang (qui milite pour les cheveux très courts, allant même au rasage total de la tête) …

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Nappy, Nappy extrémiste, Défrisée : le clash

Sur la scène ivoirienne, on assiste à une rude concurrence entre les « crépus » et « les défrisées », chacune des parties essayant de convaincre l’autre de rejoindre son bord. Nous avons pour l’enquête interviewés 3 jeunes dames : Nadia, 27 ans, Avocate Internationale, la nappy extrémiste. Corinne, 24 ans Etudiante, la nappy modérée et Emma, 30ans directrice d’une agence de communication, la défrisée.

Pour Corinne, le choix nappy lui est apparu comme une solution miracle aux produits défrisants qu’elle ne supportait plus. « Les produits défrisants me donnaient tout le temps des plaies au niveau du cuir chevelu. J’ai d’abord commencé à avoir les cheveux fragiles et cassants, puis à les perdre. Un matin, j’en ai eu marre de voir l’aspect triste de mes cheveux, je suis passée par la case big chop (rasage intégral des cheveux) et j’ai décidé de garder mes cheveux crépus. N’empêche que, souvent je fais des coiffures dites protectrices (crochets braids, tissages, tresses …) quand j’ai envie de changer de tête. »

Emma quand a elle trouve ce phénomène ridicule et dégradant : « je ne suis pas nappy et je ne le serai jamais parce que j’aime avoir les cheveux lisses. Pourquoi se torturer quand on peut faire simple ? C’est comme si, on refusait d’utiliser le feu pour faire cuire nos aliments sous prétexte que le feu peut brûler. C’est absurde ! Le cheveu crépu est extrêmement difficile à peigner, s’entremêle et par-dessus tout donne un aspect villageois. Nous sommes à l’air du modernisme, du chic, du glamour, et pour moi les cheveux crépus sont tout sauf glamour. »

Etre nappy est toute une culture, une identité un combat, un refus de se plier aux règles occidentales telle est la vision de Nadia : « je suis africaine et fière de l’être. Alors pourquoi devrais-je masquer ce que l’Afrique m’a offert de beau en plus de ma peau d’ébène ? D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours été nappy car il était hors de question pour moi d’utiliser un produit défrisant ou autre dans le but de faire ‘comme’ la masse populaire. Je ne comprends pas les personnes qui se disent nappy et mettent des mèches, tissages… Soit on est fière de ces cheveux crépus soit on ne l’est pas. Mon afro je le porte tous les jours quels que soient les situations et le lieu. L’occident nous a longtemps lobotomisés avec leurs critères de beauté, nous faisant croire que L’Afrique n’a aucune valeur. Il est temps d’y mettre un terme et ma coiffure est mon moyen de lutte »

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‘Nappyisme’ ivoirien : la contre campagne des produits défrisants et la naissance de nouveaux commerces

Lova Blassiri
Lova Blassiri

Comme dit l’adage, le malheur des uns fait le bonheur des autres. L’industrie des crèmes défrisantes génératrice de beaucoup de revenus est bien évidemment opposée au phénomène Nappy !!! Et pour cause, nous assistons à la fermeture de certains salons de coiffure qui jusque-là ignoraient tout de l’entretien des cheveux crépus.
C’est par contre l’occasion pour certains petits commerces de faire fleurir les affaires. «Avant mes huiles et soins capillaires sortaient difficilement mais depuis le phénomène Nappy, je rentre facilement dans mes fonds. Je suis souvent obligée de me ravitailler plusieurs fois dans le mois pour satisfaire la clientèle. » Nous confie Awa, gérante d’un magasin spécialiste du cheveu crépu. Tout comme celui de Awa ce sont’est de nombreux commerces qui voient le jour dans les rues du pays. Salon spécialiste du cheveu crépu, centre de soins capillaires, vendeuses d’huiles, conseillères en cheveux crépus dont Lova Blassiri [1]qui est celle-là même qui a révolutionné le phénomène Nappy ivoirien.
La riposte de grandes marques de défrisants ne s’est pas fait attendre. Dans le but de reconquérir le cœur de leurs clientes, elles proposent des formules à base d’huile d’olive, sans ammoniac, hydratantes, et à bas prix.

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Nappy girl oui mais Nappy boys aussi !

Si le phénomène séduit les femmes, il y a désormais de plus en plus d’hommes qui rejoignent le mouvement. Ce sont les Nappy Boy. Nous avons rencontré Stéphane, Directeur des Ressources Humaines et Nappy depuis 5ans : « Plus jeune, j’ai toujours voulu avoir les cheveux longs mais les dogmes de la société, me l’interdisaient. Et puis, je me suis dit pourquoi ne pas briser ce carcan dans lequel on est obligé de se cantonner ? Mon aventure Nappy a ainsi débuté et croyez moi c’est la plus belle décision que j’ai prise. Au début cela n’a pas été facile. Un homme avec des cheveux crépus et longs c’est problématique ! Imaginez… À force de persévérance, j’ai fini par me faire accepter par mes amis et ma famille, qui au départ n’arrêtaient pas de me chahuter. Nous ne sommes certes pas nombreux mais il existe une bonne petite communauté Nappy boys à Abidjan. »

Le mouvement Nappy est très implanté en Côte d’Ivoire, même si on relève encore quelques des cas de « discriminations capillaires ». Abidjan est bien partie pour devenir « la capitale du capillaire africain ». Et vous, nappy ou défrisé ? Vos avis nous intéressent.

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2 Comments

  1. says: Anna

    « Emma quand a elle trouve ce phénomène ridicule et dégradant : « …et par-dessus tout donne un aspect villageois.» »

    Waouh! Les villageois ne sont pas des êtres humains? Vivre dans un village est-il un crime? Se rend-elle compte qu’elle parle limite comme l’explorateur et le colon qui associait justement « villageois » à « sauvage »? Pfff! Directrice d’une agence de communication condescendante, complexée… mouais, je n’ose pas imaginer la teneur de leurs campagnes de communication!

  2. says: Anna

    Défrisés, crépus au naturel, assouplis (« Texlaxed »), je crois qu’il faut laisser les gens libres de leurs choix. Je m’insurge seulement quand j’entends des gens dire qu’ils se défrisent les cheveux parce qu’ils veulent avoir de « bons cheveux » (« good hair »). Cet argument est le propre de personnes dont l’identité reste imprégnée par les séquelles de l’esclavage; on l’entend d’ailleurs auprès de la diaspora noire des Amériques et des Caraïbes.

    Ah oui, il y aussi les snobinards qui te sortent que les cheveux crépus, ça fait « villageois »; ceux-là, ne suscitent que du mépris et de la pitié de ma part.

    À part ça, fais ce que tu veux avec tes cheveux mais fais-le pour des bonnes raisons, pas parce que tu es pétri(e) d’insécurités.

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