LAETITIA KANDOLO : « LE METIER DE DESIGNER N’EST PAS FORCEMENT NOBLE EN RDC ».

Elle se définit comme une « fille de partout », du fait de ses nombreux voyages. Née en France de parents Congolais, Laetitia Kandolo a grandi bercée par la musique. Amoureuse du monde du spectacle depuis toute jeune, elle pratique la danse pendant plusieurs années, et fini par intégrer l’univers de la mode et du costume, dans lequel elle démarre sa carrière de styliste à 19 ans. Laetitia Kandolo a travaillé et continue à travailler avec les plus grandes stars mondiales, de  Kanye West (pendant 3 ans), à Beyonce en passant par Rihanna, Madonna, ou encore Sting. Elle dégage à la fois une paix d’esprit, et un bouillonnement intérieur, qui en font une personnalité intrigante…

Tu as dit que l’une des raisons pour lesquelles tu avais décidé d’être styliste c’est parce que tu t’étais rendue compte que tu pouvais raconter des histoires avec des vêtements. Comment raconte -t – on une histoire avec des vêtements ?

Je crée des vêtements de la même manière que l’on fait des collages ou des phrases. On assemble des images ou des mots, pour que le tout fasse sens. J’assemble donc tout ce qui me vient à l’esprit, des choses en lien avec des événements personnels (ou pas) qui me marquent, de la musique, des mots, des couleurs et des textures, pour représenter des ambiances et des tableaux d’humeur. Je me raconte aux autres à travers mes vêtements. Je n’ai pas forcément besoin qu’on me comprenne. Ensuite, chacun fait ce qu’il veut de mes pièces, les clients réinventent d’autres histoires avec les vêtements qu’ils achètent, et c’est ça le plus drôle.

Démarrer sa carrière en étant styliste et embrayer sur une carrière de designer. C’est un peu la suite logique non ?

Non. Un styliste n’est pas forcément un bon designer et vice versa. Ce sont deux métiers très différents. Si vous y regardez de près, vous verrez que beaucoup de designers font appel à des stylistes pour leurs looks de campagnes ou de défilés. C’est comme les bloggeuses, qui très souvent, ne savent pas faire leur propre looks.  C’est exactement ce genre de croyance qui laisse penser à certains qu’ils peuvent être d’excellents designers ou stylistes à partir du moment où ils travaillent dans la mode. Chaque métier a une fonction précise.

Tu as 22 ans et tu as démarré ta carrière à 19 ans. Tu es noire et africaine. Tu as travaillé avec les plus grands. As -tu souvent eu l’impression que ta condition ou ton identité posaient un problème dans ton entourage professionnel ?

Les Anglo-saxons sont très différents des francophones. Ils attendent surtout un rendu, peu importe la personne qu’ils ont en face. Je pense aussi que j’ai été conditionnée très tôt pour ne pas me laisser distraire par toute personne portant des jugements discriminatoires. Je ne dis pas que le racisme est inexistant dans la mode, car il existe ! Mais j’ai toujours su m’imposer. On m’a souvent dit : «  Ah c’est vous ? On s’attendait à quelqu’un de plus âgé ». C’est justement à ce moment-là que je démontre que la petite jeune en sait assez pour exercer « dans la cour des grands ».

Concrètement, comment réussis – tu à t’imposer dans ce milieu ?
Raconte nous ta pire expérience en tant que styliste et comment tu t’en es sortie.

J’ai souvent été la seule noire, la seule française, la seule enfant de 2 ans quand j’étais à la maternelle, la seule « quelque chose » ! Disons qu’on apprend vite à aller chercher sa propre chaise et s’installer autour de la table. Pour le respect de mes clients, je ne divulguerai pas de noms. Mais je peux vous dire que j’ai tout vu, tout fait, tout entendu. J’ai fais réparer des chaussures en 10 min, travaillé des nuits entières, fais raccorder des vêtements à l’autre bout du monde, été réveillée à minuit pour prendre le 1er avion dans la foulée, etc… Je m’en suis toujours sortie, sauf une fois… Dix costumes étaient restés bloqués à Londres, je ne pouvais pas utiliser d’hélicoptère, et tous les costumes déjà reçus avaient besoin de retouches. Le timing étant trop short, les artistes ont dû monter sur scène avec leurs vêtements… Ce fut le pire échec de ma jeune carrière. J’ai mis 3 semaines à m’en remettre.

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Rose. Géométrie. Tresses. Musique. Que peux-tu me dire à propos de ces 4 mots ?

Le rose, n’est pas ma couleur préférée mais la couleur qui s’associe le mieux à mon état d’esprit, la quête d’une vie en rose, l’acceptation d’être vulnérable, la paix intérieure, le bonheur.
Mon amour de la géométrie date de mon enfance. Plus jeune, j’adorais les puzzles, parce que j’aimais déjà assembler les bonnes pièces entre elles. Et pour moi, c’est comme la vie : trouver le parfait assemblage entre des pièces toutes plus différentes les unes des autres.
Depuis quelques mois, je n’arbore que des tresses. C’est moi en ce moment, je serais quelqu’un d’autre demain.
Il n’y a pas de mots pour décrire ma relation avec la musique. C’est la première chose que je fais chaque matin, c’est ce que je voulais faire avant de travailler dans la Mode. Je vois des images quand j’écoute de la musique et c’est de cette façon que je travaille le stylisme d’un clip. Et puis, les tournées représentent une bonne partie de mes expériences professionnelles. C’est magique !

En parlant de magie, tu as lancé en 2014 la marque UCHAWI, qui signifie justement « magie» en Swahili. Toutes les pièces sont fabriquées en RDC. Sachant que l’industrie de la mode y est peu structurée, quels sont les challenges auxquels tu fais face au quotidien ?

TOUT. L’industrie de la mode est quasi inexistante. L’industrie du textile a existé, puis tout a disparu. Des événements existent, mais n’ouvrent pas réellement la mode locale au reste du monde. Beaucoup de métiers n’existent pas et sont encore méconnus. Le marketing de la mode, le commerce, les boutiques… C’est un terrain vide. Pour être honnête, il y a des jours où je me dis que j’ai pris une décision complètement folle. En fait, je le pense toujours !
Il manque des acteurs dans tous les autres domaines de la mode. Je fais des choses, mais je me suis rendue compte que je ne peux pas tout faire. Nous n’avons plus besoin d’ONG, mais d’infrastructures, de formations et ensuite d’entreprises dans lesquelles les personnes vont pouvoir évoluer. Certains suivent des formations, mais elles n’ont pas, comme en Europe, l’opportunité de se construire à travers des expériences concrètes en entreprise ou au sein des marques. Il est compliqué de marketer des produits dont on ne connait pas la valeur…
L’autre chose c’est que le métier de designer n’est pas forcément noble en RDC. Trop créatif, il n’est pas assez « cérébral » pour être accepté et considéré.

Tu travailles avec plusieurs couturiers différents à Kinshasa, qui ont surement des styles différents. Comment t’assures – tu que leurs productions respectent la cohérence de ta marque ? D’ailleurs, comment les sources – tu ?

Le couturier n’est pas designer, son travail c’est de fabriquer le vêtement, de couper et de monter. Son style n’a pas d’impact ici. Le designer ou le styliste comme on en parlait plus haut, ont d’autres rôles. D’où l’importance de bien dispatcher les rôles de chacun.
Les personnes avec lesquelles je travaille sont généralement jeunes, car je tiens à avoir un personnel doté d’une ouverture d’esprit. Chaque collection est faite de matières différentes, avec des techniques différentes, et apporte son lot de challenges. C’est ce qui leur permet d’évoluer et de voir la mode autrement.
Je les source où je peux : écoles, bouche à oreille, etc. Depuis quelques temps, je travaille avec les mêmes car je veux qu’ils deviennent les meilleurs dans ce qu’ils font. Cela demande un peu de temps.

Il y’a cette technique de couture, le masusa, que tu souhaites préserver. Peux-tu nous en dire plus ?

C’est une technique que j’ai apprise en textile à l’école il y a quelques années, et que j’ai adoré. Elle date de très longtemps (vers 1800), et j’ai décidé de me la réapproprier, en lui donnant un coup de jeune. C’est une technique manuelle, qui prend du temps, et pour moi c’est ce que les grandes marques ne font plus aujourd’hui. Elles ne prennent plus le temps de faire de belles pièces. Car le vrai le luxe, c’est le temps ! « Masusa » signifie « plis » en lingala.

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Est – ce que UCHAWI est éthique au niveau du choix des matières ? Des artisans? Des ressources utilisées, ou de tout ça à la fois ?

UCHAWI est éthique principalement au niveau des artisans et de la méthode de travail. Je travaille avec des artisans locaux qui ont un emploi stable et des revenus justes. C’est pour moi le point le plus important, car le chômage est un des principaux fléaux en RDC. Ensuite, j’aimerai développer la formation via un programme. J’y réfléchis encore. Aujourd’hui, il est compliqué pour moi d’être 100% éthique, et je pense qu’il faut faire les choses petit à petit. Les matières viennent de partout dans le monde, tout comme mes inspirations.

Les modèles que tu shootes pour tes campagnes sont différents. Sur la collection actuelle apparaît sur la plupart des photos, un modèle albinos. A quel point est -il important pour toi de montrer des personnes qui ne ressemblent pas aux mannequins qu’on a l’habitude de voir ? 

Je ne créé pas que pour des « mannequins ». Je souhaite simplement avoir des muses qui ressemblent à mes clients, aux gens qui m’inspirent. Je veux que chacun puisse se voir et s’imaginer à travers nos visuels. C’est la force de la représentation. Nos photos ne sont que très peu retouchées. Nos filles ont souvent de fortes personnalités, et c’est ce que j’essaye de faire ressortir.

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