Jovi et ses drôles de dames

16 Wives est le dernier album de JOVI

Jeudi 16 février 2017, l’agitation qui s’est emparée de la Twittosphère camerounaise laisse entrevoir qu’un évènement spécial anime les différentes TimeLine. La déferlante #16Wives a conquis tous les claviers et le hashtag devient numéro 1 trending topics[1] au Cameroun. En effet deux ans après l’excellent album Mboko God, le rappeur Jovi livre son troisième album après deux années « d’absence ». Le coup marketing à base de clichés relayant la sortie future de l’album est plus qu’efficace.

 

 
Entièrement produit par son alter ego Le Monstre (excepté le titre « Sux » coproduit avec l’artiste Kiloh), l’album 16 Wives a été enregistré, mixé et mastérisé dans les studios de New Bell Music (ci-après NBM) à Yaoundé. Dans un article paru chez ABCDRduson[2], Jovi confiait : «Parfois, je me dis qu’il faut avoir un minimum de folie pour faire du rap ici », une folie qui a certainement habité l’artiste tant cette œuvre est bourrée de créativité.

On se demandera toujours pourquoi sur la pochette de l’album on compte 17 femmes alors que le titre renvoie à 16 épouses ; seuls Ndukong Bertrand[3] et Jovi pourront nous éclairer à ce propos. Qu’à cela ne tienne nous avons, dans le même esprit de folie que Jovi, choisi d’assimiler chacun des 16 titres que comporte l’album à chacune des 16Wives présentes sur la pochette, en nous proposant d’en décortiquer la personnalité.

Bienvenue dans le harem du Monstre Jovi !

FREE MUSIC la première épouse de Jovi, est assurément la plus douce et la plus attendrissante. A travers elle, l’artiste révèle les méandres de son parcours et crie son amour profond pour son art qu’il revendique libéré de toute compromission et sans cesse remis au goût du jour :
“Mboko Jovi’s 32, and he sounds like 22. Probably sound like 12, when I reach 42 Benjamin Button style, always get younger”.

MAN PASS MAN PT.3, est la troisième portée[4] de la seconde femme de Jovi. Plus sombre et glauque que la précédente, c’est la première véritable claque de l’album. Sur une production lourde avec en fond sonore une « alert mélodie » qui rappelle les ambiances de couvre-feu en période de trouble, Jovi largue un flow tranchant avec une technique impeccable et un très efficace refrain sawa/duala [5]roots qui sonne comme un hymne à la prise de conscience :
“Ya pula na, béma bé toukoué, ya pula la na, béma bé sowé“.
Traduction : il faut que les choses changent, il faut que les choses bougent …

OU MEME est certainement la plus grande mégère de toutes les résidentes du harem du rappeur. C’est celle qui colporte dans leur version authentique ou déformée, les tranches de vie des autres. A travers elle, il livre son regard sur les ragots qui animent les relations humaines dans une admirable et acerbe satire. Musicalement parlant, Le Monstre nous offre un génial mélange de hip hop et de sonorités inspirées du Bikutsi, qui nous rappelle incontestablement le titre à succès « Cash ».

C’est dans les bras de sa quatrième épouse que Jovi choisi de rendre hommage à un autre monstre de la musique camerounaise, le regretté TCHANA PIERRE dont il a emprunté l’identité pour baptiser ce titre. La lancinante mélodie agrémentée du sample en boucle qui semble tirée d’une chanson asiatique accompagne allègrement la dédicace au défunt reconnu non seulement pour son œuvre artistique, mais aussi pour son immense classe :
“My new name na Tchana Pierre / Hey Tonton Tchana Pierre. Appelle-moi Tchana Pierre. Trop frais comme Tchana Pierre / Sapé comme Tchana Pierre“

 Jovi a dû s’associer à Kiloh pour dompter sa très énergique cinquième conquête sur le titre SUX. Sur une production qui n’est pas sans rappeler le célèbre « Et p8 koi ». Avec des sonorités plus actuelles et une ambiance un peu club, Jovi ne déçoit pas. Titre de qualité.

L’artiste est un peu exaspéré par le culte de l’apparence incarné par sa sixième dame, MONGSHUNG. Il en profite pour peindre avec une pointe d’humour les habitudes des jeunes gens privilégiant le paraitre. Les jeunes demoiselles et ses confrères artistes sont spécialement visés :
« Ils vous mentent qu’ils gagnent les ronds, alors que le nguémé[6] les ronge (le nguémé les ronge). Ils cherchent les ronds (Ils cherchent) »
Déjà présent sur son EP Bad Music sorti en mars 2016, l’artiste avait choisi de faire de ce titre le premier single de l’album 16 Wives.

La septième épouse de Jovi WORKMANSHIP a assurément des origines nigérianes. En collaboration avec un  excellent Pascal qui nous gratifie d’un impeccable couplet, ce titre nous remémore les airs afrobeat du célébrissime Fela Kuti. Un véritable récital.

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Jovi a dû une fois de plus s’attacher les services de son fidèle soldat Pascal pour venir à bout de sa huitième conquête HOW MANY SO MANY. On relèvera que le titre figure dans le EP Puta Madre paru en 2016.

Aussi vrai que les sentiers de la gloire sont parsemés d’embûches, NO MAN est celle des épouses de Jovi qui a vécu avec lui les moments les plus pénibles. A travers ce titre l’artiste se remémore les difficultés qui ont marqué sa vie, soulignant au passage son acharnement et son énorme envie de réussite malgré la grisaille quotidienne.

Au cours de ses multiples voyages musicaux, Jovi a rencontré sa dixième épouse, ex-pensionnaire de la République de Kalakuta[7] : SLAVE SHIPS. L’impact de cette dernière est tel que Jovi s’est imprégné de tous les codes de Fela Kuti (negro spiritual en background chorus, afrobeat, pidgin english) pour livrer son regard sur le néo-esclavage et l’asservissement spirituel. Et quand on sait le degré de militantisme du virtuose nigérian, on ne peut qu’approuver l’option prise et surtout le résultat obtenu.

50-50 est la plus prometteuse des femmes de l’artiste et sa future poule aux œufs d’or. Ce titre est une immersion dans le monde musical de Jovi, mêlant hiphop et sonorités traditionnelles africaines. Le pont et le refrain sont impeccablement exécutés par une Reniss – qui a co-écrit ce titre avec Tatapong Beyala – qui donne toute l’envergure au morceau. Assurément ce titre fera des vagues.

L’arrogance de CHUBAKA est admirablement mise en exergue ici par Jovi qui nous livre un égotrip d’une impertinence inouïe sublimant sa force et celle de son écurie New Bell Music notamment Reniss et Pascal qui sont d’ailleurs les seuls présents en featuring sur le projet.

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A travers sa treizième épouse, Jovi rend hommage à celui qu’il a longtemps considéré comme son mentor, mais aussi avec qui il a collaboré. On en veut pour preuve ce vibrant et émouvant message lors du neuvième anniversaire du décès TOM YOMS :
« André Eyoum I shed a tear for you today , what you wanted for music in Cameroon is happening today you will smile if you saw this , as long as I am alive you will never be forgotten RIP Tom Yom’s » # Legend # Mentor “
Sur une production percutante et rythmée, le sample de Tom Yom’s apaise la fin des couplets tranchants comme un katana, aussi paradoxalement qu’il accompagne chacune des énergiques mesures. Pur régal.

C’est à coups de jérémiades narcissiques que la quatorzième habitante du harem est interpellée par Jovi sur WHY GOD. Dans une diatribe au ton sarcastique, l’artiste se livre à une pseudo girie sous fond d’egotrip forcené. Dans une musique aussi arrogante que le rap, il ne faut jamais oublier que derrière l’absence d’humilité, il y a un bénéfice artistique, et ce titre est une fresque.

ON EST BIEN a le chic de mettre bien et c’est surtout le talent d’ingénieur de son[8] de Jovi qui transparaît sur ce titre.« Quand c’est bien, dis c’est bien »
Ce titre est vraiment bien et la production juste envoûtante.

Jovi rend hommage à celle qui semble avoir été son épouse préférée sur MAD LOVE – HOSPITAL BILLS. Ce titre est sans équivoque le plus poignant de l’album. Storytelling mélanco-dramatique où l’on passe de l’émoi de la déclaration amoureuse à l’angoisse et la douleur de voir l’être cher mourir à petit feu. Jovi livre un témoignage ou une fiction qui montre du doigt le laxisme du corps hospitalier et les défaillances du système de santé au Cameroun.

Entre descriptions hyper réalistes et egotrip, 16Wives est une immersion totale dans l’univers éclectique de Jovi où se tutoient éléments afro-américains du funk, du jazz, de la musique d’Afrique occidentale, de la musique traditionnelle africaine, des rythmes camerounais et du rap. Sans spécialement se réinventer mais en perpétuelle évolution, Le Monstre continue de marquer les musiques urbaines camerounaises de son empreinte. On regrettera peut-être certaines facilités d’écriture, mais aussi vrai que la musique s’écoute d’abord avec les oreilles, cet album est une pépite auditive. Nous le recommandons vivement.

Télécharger l’album ici :https://jovilemonstre.bandcamp.com/album/16-wives

 

 

[1] Le Trending topic désigne le sujet tendance sur Twitter à un moment donné, pour un pays donné.
[2] Magazine rap en ligne dédié au rap français et américain. Lire l’interview de Jovi ici http://www.abcdrduson.com/interviews/jovi/
[3] Frère cadet de Jovi, Ndukong Bertrand alias February 16th, est un photographe et cinéaste indépendant qui réalise avec Tatapong Beyala (actrice, script, metteur en scène et réalisatrice) tous les vidéogrammes des artistes du label New Bell Music. Le duo a d’ailleurs remporté en 2016, le prix du meilleur Court-métrage à la 3e édition du Festival du Film We Are Water en Espagne avec le mini-film « Maximize ».
[4] Les deux précédentes versions du titre Man Pass Man figurent sur les deux premiers albums de Jovi (HIV et Mboko God)
[5] Langues locales Camerounaises
[6] Terme argotique camerounais qui désigne l’extrême pauvreté
[7] La République de Kalakuta est le nom que le musicien Fela Kuti donnait à la maison accueillant sa famille, les membres de son groupe et son studio d’enregistrement. Située à Mushin, dans la banlieue de Lagos, elle abrite aussi une clinique gratuite. Fela déclare son indépendance vis-à-vis du gouvernement nigérian après son retour des États-Unis en 1970. Le nom « Kalakuta » est une caricature d’une cellule de la prison nommée Calcutta dans laquelle Fela Kuti fut enfermé.
[8] Jovi est un ingénieur de son, il a étudié à la SAE Sound Engineering School à Bangalore en Inde.
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