ET SI LES INDUSTRIES CINÉMATOGRAPHIQUES AFRICAINES DEVENAIENT RENTABLES ?

Il est difficile de savoir exactement quels sont les revenus générés par les industries culturelles et créatives en Afrique. Pour ne parler que du secteur musical, même si les cachets de célèbres chanteurs comme DJ Arafat ou le duo P-Square oscillent entre 15 000 € et 115 000 € par spectacle, pour la grande majorité c’est la disette. Le droit d’auteur reste dans beaucoup de pays une question sensible, quand elle n’est pas carrément foulée aux pieds. D’autres arts comme le cinéma, la peinture ou la sculpture, peinent à être rentables ou ne sont tout simplement pas sponsorisés. Pourtant les idées ne manquent pas, notamment dans le secteur cinématographique.

Structuration de l’industrie cinématographique

Dans les années 70, au lendemain des indépendances, les états Africains ont confiance en leur créativité. Deux cas illustrent à suffisance les illusions perdues d’un secteur clé de la culture. Au Cameroun, le gouvernement crée le fond de développement de l’industrie cinématographique en 1973. Le but de la structure est alors d’encourager la production et la consommation cinématographique dans le pays. Plus de 30 ans plus tard, le fond de développement de l’industrie cinématographique a laissé place au fond de soutien à la culture. Ce dernier n’est doté que d’ 1 million d’euros par an qui sont partagés entre la musique et le cinéma.
Une goutte d’eau comparé au puissant voisin Nigérian, qui ne cesse de prouver qu’investir dans les industries culturelles est un moyen sûr de croissance économique. Ainsi, en 1979 est mis sur pied le Nigerian Film Corporation dont l’objectif est de développer l’industrie cinématographique. Aujourd’hui, la structure a largement atteint ses objectifs. Avec plus de 430 millions d’euros de revenus annuels, Nollywood produit plus de 2000 films par an, emploie plus d’1 million de personnes et est le deuxième producteur mondial de films derrière Bollywood et devant Hollywood. Mais en dépit de perspectives aussi alléchantes pour l’économie du Nigéria, l’Etat semble se désengager peu à peu de la formidable mécanique cinématographique qu’est devenue Nollywood. Contrairement au Cameroun où malgré les allocations de l’Etat au secteur, l’industrie peine à décoller.

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Le Burkina Faso a lui aussi choisi d’investir dans le secteur. En effet, ce pays de plus de 16 millions d’habitants abrite la capitale du cinéma africain, Ouagadougou. Bien que le budget alloué à la culture ne soit pas suffisant, le ministère de la culture a la tutelle sur la création cinématographique. Et les réalisateurs ne manquent pas! Lors du FESPACO 2013, près d’une centaine de réalisateurs burkinabés avaient présenté leurs candidatures, mais un seul a été sélectionné. Preuve que la frénésie créative locale n’est pas altérée par les obstacles pécuniaires. Mais le chemin est encore long pour marcher sur les traces du pays de Madiba. Ici, le gouvernement sud-africain accompagne le cinéma depuis 1997 à travers la National Film and Video Foundation qui a un budget de 4 millions d’euros par an. Et les résultats sont probants! Moins de 20 ans après cette réforme, l’industrie cinématographique sud-africaine produit 271 films/an et emploie plus de 30000 personnes.

Encourager la consommation

Promouvoir la culture c’est également s’adapter. Avec le taux de pénétration du mobile qui atteint 79% en Afrique Subsaharienne et le taux de pénétration de la 3G qui devrait croître de 46%, les habitudes de consommations vont évoluer. A l’instar du Kenya qui a réussi à faire passer 30% de son PIB par le mobile, les réalisateurs de films devraient trouver le moyen de rendre leurs produits plus accessibles. Le Nigéria – qui a anticipé le changement – a révolutionné la commercialisation de ses films à travers l’émergence de plateformes comme IROKOtv. Cette entreprise créée en 2010 par Jason Njoku, est l’illustration que la rentabilité passe surtout par une bonne compréhension des attentes des consommateurs. Avec plus de quatre millions d’abonnés en 2015, IROKOtv est LE répertoire des films nigérians et ghanéens. Même si IROKOtv doit une partie de son succès à une diaspora insatiable de contenus africains, il reste un exemple à suivre.
En Afrique francophone, internet, dont la difficulté d’accès en fait encore aujourd’hui un produit de luxe, reste l’ultime divertissement face à l’extinction progressive des salles de cinéma. Le Sénégal qui comptait plus de 100 salles de cinéma en 1980 n’en a plus que quelques unes aujourd’hui ; idem pour le Bénin ou encore le Cameroun, qui en comptait encore 80 en 1987. Aujourd’hui, les salles de cinéma sont des initiatives privées, comme le réseau de salles CanalOlympia, déployé à travers l’Afrique par le groupe Bolloré. Seule la Côte d’Ivoire arrive à sortir la tête de l’eau avec 4 salles de cinéma à Abidjan dont 2 au Majestic Hotel Ivoire et une à la fontaine Sococé. Du côté anglophone, l’Afrique du Sud marque sa différence dans le domaine avec près de 734 écrans en 2009 dans le pays, contre 640 en 1999. Au Nigéria, Lagos compte 6 multiplex dotés chacun de 30 salles de cinémas en moyenne, tandis qu’Abuja compte 25 salles de cinéma. Ce gap entre les nations africaines éloigne malheureusement les populations des pays sinistrés en la matière d’un idéal cinématographique rentable culturellement et économiquement.

Célébrer l’art africain

Même si le Burkina Faso ne possède que 12 salles de cinéma, il donne le ton à l’industrie. En effet, Ouagadougou a récemment hébergé la 24ème édition du FESPACO. Cette cérémonie, désormais incontournable sur le continent, a un budget annuel de 763.000 euros (500millions de Francs CFA). Et les Burkinabés ne s’arrêtent pas là ! Ils organisent également les Kundé d’Or, récompenses de la musique africaine dont le coût de l’organisation s’élève à 152.000 euros environ par an (100 millions de FCFA). Dans le même temps, des organisations bien établies comme les Kora Awards, organisés par Ernest Adjovie semblent perdre de leur superbe. En 2012, l’Etat ivoirien avait louablement soutenu l’initiative à hauteur d’1 milliard de FCFA. Malgré ce coup de pouce, les places pour assister à la cérémonie coûtaient au moins 50000 FCFA, une fortune dans un pays où le salaire minimum interprofessionnel garanti (S.M.I.G) était à 36.607 Francs CFA.
Davantage de mécènes sont donc souhaitables dans le secteur, où tant de choses sont possibles. Gageons sur la profusion des initiatives à venir…

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