ERIC BAZIN : « LE LAND OF AFRICAN BUSINESS EST UNE DÉMARCHE MODESTE, NOUS NE SOMMES QU’UN ACCÉLÉRATEUR DE SOLUTIONS »

Après une carrière journalistique riche, Eric Bazin crée en 2005 avec son ami George J. Gendelman, Les Ateliers de la Terre. Une passerelle entre les différents acteurs de la RSE et du développement durable dans les entreprises, invitant à un changement de paradigme de notre société. Dans cette dynamique, il choisi de donner plus de résonnance au continent Africain en lançant l’année dernière le Land Of African Business, think thank destiné à valoriser l’Afrique performante et innovante, qui s’est fait remarqué en marge de la COP 21. Rencontre.

Pouvez-vous nous parler du Land of African Business ? Comment vous est venue l’idée de fonder ce Think Thank ?

J’ai longtemps travaillé à la rédaction de Paris Match dont la devise est « Le poids des mots, le choc des photos ». Lors de mes vacances en août 2014, l’image de la double page d’ouverture du reportage sur la CO15 de Copenhague m’est revenue en mémoire comme un boomerang. Cette image, symbole de la conférence des parties de la dernière chance comme certains le rappelaient à l’époque, devait consacrer un accord international afin de diminuer la production de gaz à effets de serre. Les grandes puissances, et déjà, les pays émergents devaient se mettre d’accord pour statuer sur cette catastrophe due à l’exploitation industrielle et à la course effrénée de l’homme vers un profit aveugle. On y voit les puissants de ce monde : Obama, Berlusconi, Brown, Lula, Medvedev, Merkel et Sarkozy. Cette image me trouble car il n’y a pas un seul chef d’État africain. L’Afrique est pourtant le continent qui souffre le plus des gazs à effet de serre, pour une contribution à la pollution infime. Je me dis qu’il y a un problème : il faut réhabiliter la voix des « Afriques » pour qu’elle résonne dans ces grandes messes. Je me mets donc en tête d’organiser un événement africain pendant la COP 21. C’était une manière de se distinguer pour Les Ateliers de la Terre et une conviction car, depuis 2008, j’ai une affection toute particulière pour le continent.

J’ai voulu introduire une idée de laboratoire et de business. J’ai donc choisi Land of African Business. Simultanément, ce qui m’a intéressé dans cette démarche c’était d’accompagner la jeunesse africaine : 40% de la population est âgée de moins de 15 ans et 60% des jeunes du continent sont frappés par le chômage. Il y a donc là quelque chose à faire.
Le LAB est une démarche modeste. Nous ne sommes qu’un pont, une passerelle, un accélérateur de solutions. Il y’a en Afrique une jeunesse géniale et je suis profondément convaincu que cette jeunesse rencontre les mêmes difficultés qu’en France, en Allemagne ou en Suède, lorsqu’on lance sa start-up, mais il y a d’autres difficultés à surmonter que nos jeunes générations ici n’ont pas forcément dû affronter. Les environnements familiaux, sociaux, culturels sont différents. Parfois, tout ce qui manque à ces jeunes, c’est un accompagnement et un soutien. C’est pour cela que les African Rethink Awards (ARA) accompagnent les jeunes pendant un an, grâce à un Club de partenaires africains composé d’un cabinet d’avocats, LABSN, d’un média, Inspire Afrika, d’une agence de communication, Wild Flowers et enfin d’un cabinet de conseil en stratégie, Innogence Consulting.

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Les formats de présentation de la seconde édition du LAB semblent favoriser les rencontres entre différents mondes. En quoi, selon vous, le dialogue permet-il d’apporter des solutions concrètes pour les entreprises ?

En mutualisant les bonnes pratiques et la co-construction, le fait de collaborer et co-agir, permet d’accélérer le changement de paradigme, de société et de mentalité, tout en créant de la richesse. Les sociétés civiles s’éveillent un peu partout, mais surtout en Afrique. A travers une jeunesse en mutation, particulièrement débordante de créativité et d’une richesse incroyable, le continent africain est évidemment le territoire de tous les possibles, aujourd’hui. À travers nos rencontres, les initiatives de jeunes sont valorisées et permettent de constater qu’ils sont géniaux. Par exemple, Sénamé Koffi Agbodjinou, fondateur de Woelab, au Togo, a créé à partir de pièces recyclées, une imprimante 3D. Arthur Zang, au Cameroun a fabriqué le cardio-pad, en consultant par internet des modèles de fabrication de diagnostique cardiaque chinois. Au Cameroun, il y a 40 cardiologues pour une population de 22 millions. Ce garçon génial, du fin fond de sa chambre en faculté, a su proposer un outil médical inespéré pour les populations les plus défavorisées.

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 Le week-end du 22 et 23 octobre consacrera les African Rethink Awards (ARA) récompensant les start-up africaines innovantes dont le modèle est duplicable en Afrique. Ainsi, vous mettez l’accent tout particulier sur l’entrepreneuriat et donc sur le secteur privé. Pensez-vous qu’il constitue l’unique salut du continent ?

Aujourd’hui, oui. En règle générale, le continent africain compte des dirigeants qui ne sont pas matures dans l’appréhension de la jeunesse de leur pays. Très clairement, le salut viendra du privé, des entreprises africaines et étrangères, dès l’instant où elles seront animées de sentiments bienveillants pour leur jeunesse. Aujourd’hui, il existe des pépites partout en Afrique. Les dirigeants africains se ruent sur certaines d’entre elles, essayant de récupérer l’opportunité de briller à leur côté et d’engranger les dividendes de succès futurs. Mais je pense que si les dirigeants africains ont conscience de l’indispensable nécessité de tout mettre en œuvre pour développer les start-ups, et encourager l’entrepreneuriat, ils sont très vites rattrapés par des contingences politiques personnelles. Certains font preuve d’un fatalisme qui me contrarie et me révolte. La politique de la main tendue, je ne le supporte pas et pour autant, il n’y a rien à faire. Nombreux sont les dirigeants qui comptent sur une aide au développement…aujourd’hui obsolète et peu politiquement correcte. C’est peut-être indispensable dans certains pays… Mais pas pour une aide avec obligation de résultats qui se perd dans les sables des administrations africaines. Il y a une propension et une faculté à faire en sorte que ces aides n’arrivent pas intactes, ne servant pas la cause pour laquelle elles sont mises à disposition. Je pense que c’est par le secteur privé que le salut passe et passera jusqu’à ce que cette nouvelle génération arrive au pouvoir.

14519774_1740418236207648_564075784009616748_nVous insistez sur la nécessité de promouvoir un mode de développement plus inclusif en Afrique. Pourquoi inclusif ? Avez-vous le sentiment que les initiatives, lorsqu’elles sont à l’adresse du continent, ne viennent pas assez de l’intérieur ?

Il est très clair que de grands groupes industriels internationaux prennent le continent africain pour un terrain de jeu dont on exploite tout ce qui est exploitable. Trop souvent, n’intégrant pas de valeurs RSE (Responsabilité Sociale de l’Entreprise), ils ne respectent pas une inclusion légitime, ni ne considèrent les populations. Certains groupes internationaux, et c’est une grave erreur industrielle, sociale et politique, ne jouent pas la carte du donnant-donnant, de redistribution qui est indispensable quand on s’engage sur des décennies. A un moment, ça va péter. Aujourd’hui on nous dit : « Nous n’avons pas besoin de vous! » Il serait temps de l’entendre et d’adapter notre offre à cette réalité ! Ce n’est plus possible d’exclure les populations des bienfaits de leur sous-sol, de leurs forêts, de leurs côtes, etc. Au-delà d’une évidente injustice, c’est une aberration. Intégrer les valeurs RSE, de l’économie verte, c’est aussi comprendre que ce nouvel environnement économique est générateur de bénéfices. Je suis convaincu que la plus grande des richesses c’est le capital humain…et celui des Africains est infini ! Je ne comprends pas pourquoi on ne le met pas au cœur même de cette évidente réflexion. C’est là où les hommes de pouvoir doivent participer à ce changement de paradigme et à cette évolution qui devient aussi révolution.

Avez-vous des suggestions de pays où il fait bon investir pour les entrepreneurs désireux de s’implanter en Afrique ?

Tout d’abord le Bénin, qui, pour la troisième année consécutive enregistre une croissance économique à 5,5%. Le déficit budgétaire est relativement faible tout comme le niveau d’endettement et l’inflation. Ensuite, la Côte d’Ivoire qui poursuit une croissance économique toujours aussi soutenue : un peu plus de 8% en 2015. Le seul obstacle est d’ordre politique à mon sens, si le président Ouattara ne clarifie pas ses intentions quant à un éventuel 3ème mandat… Au Sénégal aussi, où la croissance a repris en 2015 et devrait s’élever à 5,9% en 2016.

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Le secteur primaire enregistre de bonnes performances. L’investissement public et le recul des prix du pétrole continuent de dynamiser l’économie. Le Rwanda propose également un cadre enclin au business : en 2015, de nouvelles licences ont été accordées à 20 entreprises. L’Angola est également à considérer même si ce pays est livré au bon vouloir de la famille dos Santos pour le moment. Le Maroc, enfin, présente un climat propice aux affaires avec une croissance accélérée en 2015 s’élevant à 4,9% soutenue par les secteurs de l’automobile, aéronautique, électronique et agriculture.

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