Anne – Sophie Steinlein : « Comme dans le cas de la banque, les africains sauteront l’étape de la librairie pour consommer la lecture de manière digitale » 

Il faut l’avouer, l’industrie du livre est un sujet compliqué en Afrique, notamment à cause des challenges liés à la distribution. Très peu de bibliothèques ou de librairies existent sur le terrain, les échanges internes sont absents, et il est d’autant plus difficile de faire connaître des ouvrages africains au-delà des frontières continentales. Pourtant, comme nous le rappelait Mariam Soro, les Africains veulent lire ! Nous avons rencontré Anne-Sophie Steinlein, responsable des relations éditeurs et du catalogue chez YouScribe, une bibliothèque digitale numérique qui souhaite vulgariser la lecture sur le continent.

Bonjour Anne-Sophie, pouvez-vous expliquer à nos lecteurs ce qu’est YouScribe ?
YouScribe est une initiative tournée vers l’Afrique en faveur de la lecture et de la culture. Nous souhaitons créer la manière la plus accessible et la plus adaptée  pour faire circuler des contenus francophones et africains. Nous avons un catalogue assez varié qui va du livre à l’audio livre en passant par la presse et les documents. La partie « documents » permet aux utilisateurs de l’application de partager leurs propres écrits : poèmes, nouvelles, mémoires, etc.
Mon rôle est d’aller dénicher ce que les lecteurs ont envie de lire, de voir les tendances actuelles et de créer la bibliothèque idéale pour un lecteur au Sénégal, en CIV, au Cameroun ou au Burkina Faso, qui sont les pays où nous sommes déjà implantés. Pour cela, nous sommes en relation avec plus de 400 éditeurs et on permet aux éditeurs africains de bénéficier de ce réseau de distribution innovant. Ces derniers rencontrent de grandes difficultés liées aux frais d’impression ou encore aux problématiques de distribution. A titre d’exemple, en Côte d’Ivoire, il existe moins de 20 librairies à l’échelle du pays. J’ai également pour mission de permettre aux éditeurs africains de négocier leur virage digital et aux éditeurs francophones hors frontières, d’être lus en Afrique. Nous nous positionnons vraiment comme des facilitateurs de l’écriture et de la lecture.

Découvrez notre rubrique le Bar à Lecture, où on ne parle que de littérature …

Grâce à un partenariat stratégique signé avec Orange en 2018, YouScribe est à présent disponible dans 4 pays d’Afrique Francophone, avec l’ambition de couvrir les 20 filiales du groupe…
Effectivement ce partenariat avec Orange est extrêmement stratégique. Je tiens à préciser que nous sommes également accompagnés par Digital Virgo.
L’idée d’être une bibliothèque numérique accessible en Afrique serait absurde si on envisageait de passer par des solutions de paiement classiques. En ce sens, la collaboration avec Orange est cruciale. Ils nous permettent grâce au mobile money de prélever les abonnements directement sur le téléphone portable des lecteurs. De plus, nous sommes vraiment dans une relation de co-branding dans le sens où YouScribe est un service proposé par Orange.
Digital Virgo en parallèle, nous accompagne sur le marketing digital et la visibilité. Ils nous permettent également techniquement de connecter notre solution à Orange.
Nous sommes fiers de ces partenaires qui nous permettent aujourd’hui d’être présents en Afrique et de nous développer rapidement. En moins d’un an, nous avons déjà réuni plus de 300 mille abonnés sur YouScribe. (La solution a été lancée au Sénégal et en Côte d’Ivoire en Juin 2019, Ndlr)

Quel intérêt pour Orange d’accompagner un projet tel que le vôtre ?
Orange souhaite se positionner comme un apporteur de culture en Afrique. Son rôle ne se limite pas à un simple opérateur de téléphonie. Ils s’investissent dans le divertissement et veulent participer à l’élan culturel dans les pays.  Grace à nous, ils comblent ce besoin sur les plans de la lecture et de l’écriture.

Pourquoi opter pour une bibliothèque numérique quand on sait que le taux de pénétration d’internet sur le continent Africain reste bas, que tout le monde n’a pas de smartphone et que certaines régions du continent sont très peu alphabétisées ?
Effectivement ce sont des contraintes, mais il faut prendre le problème dans l’autre sens. Il y’a quand même aujourd’hui un fort potentiel de digitalisation sur le continent. C’est vrai que nous ciblons en premier les zones urbaines, mais nous souhaitons être porteurs de lecture également en zones rurales. Par ailleurs, il y’a un potentiel de lecteurs alphabétisés et digitalisés, qui parfois ne peuvent pas lire autant qu’ils le souhaitent car l’offre littéraire est souvent trop chère et peu accessible. Dans ce contexte, le mobile est la meilleure solution imaginable pour développer la lecture.
En dehors de notre partenariat Orange, nous avons également la volonté de déployer notre offre dans des écoles, des universités ou des entreprises afin de rendre la solution accessible à tous. La partie BtoB permettra à terme de toucher de plus en plus de lecteurs. Comme dans le cas de la banque, les africains sauteront l’étape de la librairie pour consommer la lecture de manière digitale. Nous pensons donc avoir la solution pour porter la lecture dans ce contexte, et souhaitons participer au recul de l’analphabétisation et au recul du manque d’accès aux ressources numériques.

Vous êtes partis du constat que le manque d’accès à la culture en Afrique avait  des raisons économiques. Pourquoi YouScribe n’est  pas gratuit ?
Nous ne sommes pas positionnés sur un créneau de gratuité, car nous pensons qu’il faut trouver le prix juste, celui pour lequel les gens sont prêts à payer pour avoir accès à la ressource. Ce prix varie selon les pays. Au Sénégal par exemple, le prix d’accès à l’abonnement est de 100 FCFA par jour, soit 15 centimes d’euros environ. Ce qui reste accessible. Notre volonté est vraiment de s’adapter au marché.

Concrètement comment fonctionne la plateforme côté utilisateur ?
Le parcours utilisateur est très simple. Vous recevez un sms vous invitant à vous inscrire sur YouScribe. Ensuite, vous renvoyez « YS » à un numéro spécial qui vous est communiqué. Vous êtes donc automatiquement abonné pour une journée. On vous envoie des identifiants pour vous connecter. Pour mettre fin à l’abonnement, il suffit d’envoyer STOP au même numéro.

Comment gagnez-vous de l’argent avec YouScribe et comment les éditeurs s’y retrouvent-ils financièrement ? Je pense surtout aux petits éditeurs, qui n’ont pas pignon sur rue et qui ont peu de moyens.
Notre modèle est assez simple : nous partageons tout le chiffre d’affaire perçu avec les éditeurs. On fonctionne comme une librairie physique, c’est à dire que nous prenons une remise libraire qui s’élève à 40%. Les 60% restants reviennent aux éditeurs.  Maintenant se pose la question du partage de la valeur entre ces éditeurs. A ce niveau, nous avons opté pour le modèle de la page lue. Nous calculons pour chaque éditeur le nombre de pages lues par mois, que nous comparons au nombre global de pages lues. Une page est considérée comme lue à partir du moment où l’utilisateur a passé plus de 3s dessus. La rémunération se fait donc au prorata des pages lues.
Afin d’assurer l’équilibre entre gros et petits éditeurs, nous travaillons à donner la meilleure visibilité aux petits éditeurs. Nous avons une équipe éditoriale dédiée par pays, qui anime le catalogue en  mettant en avant les meilleurs titres en fonction de l’actualité et des demandes. Nous avons un autre levier de visibilité qui est le push SMS envoyé par Orange à sa base d’abonnés pour mettre en avant une nouveauté, une actualité, une thématique.

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